À Nice, deux statues de bodhisattva d’époque Ming illustreront cet art tout à la fois fragile et spectaculaire. Le prochain trésor de votre collection ?
Une délicate polychromie et une évidente expressivité : deux qualités qui font de ce duo en bois sculpté l’un des joyaux de l’art chinois de l’époque Ming. Loin du hiératisme de nombre de statues chinoises, ces bodhisattvas debout en position de marche paraissent plus proches des terres cuites glaçurées que des figures en bronze ou en pierre de la même époque. Par ses spécificités techniques, sa légèreté et sa maniabilité, le bois permet en effet de belles variations. Avec ses deux bras levés, la tête tournée, le personnage de droite semble prêt à s’élancer, dans une attitude élégante. Richement vêtu de vert et de rouge, son ample manteau laissant entrevoir les mouvements de la robe aux plis travaillés retenue par une ceinture bleue et dorée, il porte un collier orné d’un pendentif en forme de perle, son chignon élaboré étant de plus ceint d’une couronne. N’esquissant qu’un léger déhanchement, son compagnon arbore un collier de fleurs et une robe serrée autour de la taille par une large ceinture…
La découverte d’un paysan du Shanxi
Avec le retour au pouvoir d’une dynastie chinoise, les Ming, les constructions bouddhiques se font de plus en plus nombreuses dans l’empire à partir du XIVe siècle. Les temples se remplissent de multiples statues du Bouddha et de ses inséparables acolytes, les bodhisattvas. Avec l’émergence en Chine du bouddhisme du Mahãyãna, le «Grand Véhicule», ces derniers sont de plus en plus honorés. Ils représentent en effet un idéal spirituel : ayant atteint l’éveil, ils refusent pourtant d’accéder à l’état de Bouddha tant que tous les autres êtres n’auront pas obtenu leur propre éveil. Du haut de leurs 72 centimètres, ces deux sauveurs de l’humanité, achetés par leur actuel propriétaire lors d’une vente Lair-Dubreuil en 1931, devraient susciter bien des curiosités. Les sculptures en bois de ce type, vieilles de plusieurs siècles et pourtant dans un superbe état de conservation, sont en effet en grande partie désormais abritées dans les musées. Leur découverte remonte au début du XXe siècle, dans un petit village de la province du Shanxi, dans le nord-est de la Chine. Un paysan grimpa dans la montagne afin d’aller cueillir des herbes médicinales, lorsqu’il trouva un temple en ruine ; à l’intérieur, il découvrit une magnifique sculpture en bois. Cette aventure eut un grand retentissement, et bientôt des marchands de tous pays affluèrent dans cette région particulièrement préservée durant près de deux millénaires, des curieux mais aussi des guerres, grâce à sa situation géographique. Située sur un plateau de 1 500 mètres d’altitude, elle est protégée par le fleuve Jaune et plusieurs chaînes de montagnes difficilement franchissables. Les temples du Shanxi furent ainsi fouillés à partir du début du siècle dernier, et les belles sculptures en bois, plus facilement transportables que celles en pierre, furent rapidement sorties de Chine. Elles entrèrent ainsi dans les collections des plus grands musées d’Occident, comme le Metropolitan Museum de New York, le musée Guimet à Paris ou le Victoria and Albert Museum, à Londres, où elles sont considérées comme des trésors. Une petite phrase, alors à la mode, confirme à elle seule la valeur de ces œuvres d’art : «Sans sculpture en bois de Shanxi, ce n’est pas un musée».