À travers une iconographie complexe, Pablo Picasso exorcise ses angoisses d’homme infidèle. Cette gravure, transmise par sa petite-fille Marina, correspond au septième et dernier état.
Le 23 mars 1935, lorsque Pablo Picasso se met à tracer cette composition directement sur planche, il est dans un grand état de nervosité. Son épouse Olga Khokhlova est en effet alors sur le point de le quitter après avoir découvert que sa jeune maîtresse, Marie-Thérèse Walter, était enceinte. Dans cette Minotauromachie, la culpabilité et la frustration de l’homme s’expriment en une iconographie complexe. Le Minotaure, qui occupe près de la moitié de la composition, tend son bras en direction d’une bougie tenue par une jeune fille qui brandit, de son autre main, un bouquet de fleurs. Entre eux, un enchevêtrement de deux personnages interpelle le spectateur ; une jument terrorisée hurle, incapable de fuir car mortellement blessée, ses entrailles à découvert. En contraste, la torera enceinte, reposant sur le dos de l’animal, paraît bien sereine. Ses traits, comme ceux des quatre personnages féminins de la composition, sont ceux de Marie-Thérèse. Deux spectatrices penchées à une fenêtre et un homme grimpant à une échelle, semblable au Christ mais empruntant son visage à Picasso, observent ce spectacle étrange. Désir lubrique et humanité, violence et innocence, souffrance et salvation se mêlent dans l’esprit du Malaguène autant que dans sa gravure. Le personnage du Minotaure est récemment créé pour répondre à une commande de couverture pour la nouvelle revue surréaliste qui porte justement le nom du monstre mythologique. Il devient omniprésent dans sa célèbre série de gravures, intitulée La Suite Vollard, avant de prendre sa forme finale en 1937 dans le Guernica. La Minotauromachie n’a pas été réalisée dans un but mercantile, mais pour l’usage propre de Picasso. Sur cinquante épreuves tirées, il en offre plus de la moitié en cadeau, après les avoir signées, numérotées et dédicacées. Seules vingt-trois, ni signées ni numérotées, ont été retrouvées dans son atelier à sa mort en 1973 ; celle-ci en fait partie. Elle a été transmise à la petite-fille de l’artiste, Marina Picasso, laquelle l’a confiée au marchand Jan Krugier, qui l’a cédée à l’actuel propriétaire.