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Paris Print Fair : un salon qui met l’estampe en partage

Publié le , par Christophe Dorny

Marchands, collectionneurs et amateurs célèbreront, pour la deuxième édition du salon, ce mode d’expression multiforme adopté par nombre d’artistes.

Edgar Degas (1834-1907), Manet en buste, vers 1862-1865, eau-forte et pointe sèche,... Paris Print Fair : un salon qui met l’estampe en partage
Edgar Degas (1834-1907), Manet en buste, vers 1862-1865, eau-forte et pointe sèche, 3e état sur quatre avant l’aquatinte, sur vergé filigrané, 28,4 20,4 cm. Galerie Martinez D.

La 2e édition de Paris Print Fair, le salon annuel de l’estampe «nouvelle formule», continue sur sa lancée. Désormais installé dans le bel espace du réfectoire du couvent des Cordeliers, dans le 6e arrondissement de Paris, il accueille à nouveau une sélection de 20 exposants spécialisés, français ou étrangers. Défendre la singularité de l’estampe dans la grande histoire des images et de l’impression, telle est sa trame. Certes, le livre et l’illustration affleurent, mais c’est bien la feuille imprimée sur papier vélin, vergé, Japon ou Chine, de format jésus ou raisin, qui occupera les cimaises. La manifestation, qui  – signe de son attrait – n’a pu satisfaire toutes les demandes de participation, s'inscrit dans la Semaine du dessin parisienne, juste après la Tefaf à Maastricht.

Un rapport singulier à l’image
D’un format généralement petit ou moyen, l’estampe crée un rapport particulier, tactile, avec le regardeur. «Je découvre dans la gravure, comme dans l’écriture littéraire, une manière d’intimité étroite entre l’ouvrage qui se forme et l’artiste qui s’y applique», observait en 1933 Paul Valéry dans son Petit discours aux peintres graveurs. Plus tard, avec des estampes aux formats «XXL», Georg Baselitz, Jean-Pierre Pincemin et d’autres contrediront l’écrivain en travaillant aux limites du possible. Quoi qu’il en soit, l’estampe a toujours transmis d’une manière différente des messages que les autres formes d’art ne peuvent aborder. Paris Print Fair couvre toutes les périodes : ancienne, moderne, contemporaine et actuelle, mais aussi l’estampe japonaise, défendue par Christian Collin et la galerie Bei der Oper. Le collectionneur aura le choix parmi les maîtres anciens : Dürer, Bosch, Cranach ou encore Rembrandt – avec un paysage d’hiver minimaliste, au cadrage assez rare, exécuté à l'eau-forte et à la pointe-sèche (Galerie Sarah Sauvin). D’autres galeries renommées représentent l’estampe ancienne : Xavier Seydoux (Paris), Emanuel von Baeyer (Londres), Palau Antiguitats (Barcelone), Helmut H. Rumbler (Francfort) et Jurjens Fine Art (Amsterdam). Pour sa première participation, le galeriste C. G. Boerner (Düsseldorf et New York) montre une singulière image de dévotion du XVe siècle, figurant l’arrivée en France de saint François de Paule. Coloriée au pochoir, la gravure sur bois est assemblée à partir de trois feuilles séparées. Des images étonnantes, il y en aura d’autres, comme ce troublant portrait d’Édouard Manet gravé par Edgar Degas (vers 1862-1865). «Il s’agit d’une œuvre exceptionnelle en tout point, du fait de sa rareté et en raison de la finesse du trait de la pointe sèche», selon Anne Martinez (galerie Martinez D.). Voilà une excellente introduction à la prochaine exposition « Manet/Degas », qui débutera le 28 mars au musée d’Orsay.

 

Atelier Pasnic : quarante ans de carborundum
 
Monique Tello (née en 1958), Fleurs orange, pointe sèche et carborundum, 2016, éditions Pasnic (détail). © F-X Tual
Monique Tello (née en 1958), Fleurs orange, pointe sèche et carborundum, 2016, éditions Pasnic (détail). © F-X Tual
La diffusion des estampes ne relève pas uniquement de marchands spécialisés. Les ateliers d’impression, creuset coopératif entre l’artiste et l’imprimeur, sont depuis toujours des acteurs essentiels de la création graphique, d’autant plus lorsqu’ils deviennent eux-mêmes éditeurs. Paris Print Fair accueille cette année le fonds de l’ancien atelier Pasnic, créé en 1978 à Paris. Son nom réunit les premières syllabes des prénoms de ses fondateurs, deux amis d’enfance, Pascal Gauvard et Nicolas du Mesnil du Buisson. Pascal Gauvard s’initie à la gravure au carborundum –  dont le procédé a été mis au point par Henri Goetz après des années de recherche –  auprès du peintre Dikran Daderian. La technique du carborundum produit une gravure en relief, et non en creux, sur la matrice de laquelle on colle une texture granuleuse qui retiendra l’encre. Les taille-douciers la qualifient généralement de « gravure de peintre »,  car ce dernier conserve ainsi son geste. L’atelier Pasnic, sous l’impulsion du graveur James Coignard, devient une «marque» de référence. Des artistes de renom viennent alors produire leurs estampes, comme Roberto Matta, Antonio Seguí, Miquel Barceló, Michel Haas, Bernard Moninot, Jean-Pierre Pincemin et Hervé Di Rosa. «Chacun avait son expression mais le point commun était le carborundum», nous confie Zeina, l’épouse de Pascal Gauvard. Pendant quarante ans, l’atelier écrira l’histoire de la gravure au carborundum en France. Devenu rapidement éditeur, il est présent dans les années 1980 à de nombreuses foires internationales, notamment Bâle jusqu’en 1992, FIAC Edition-SAGA (Paris) ou ARCO (Madrid). Dans ses plus belles années, plus d’une dizaine de tireurs y travaillent. La décennie suivante, celle des années 1990, est plus compliquée : Pasnic peinera à se remettre de la récession économique. Depuis le décès des deux fondateurs en 2019, Zeina et quatre de leurs enfants travaillent désormais à valoriser les éditions, dont le catalogage complet est amorcé : «Nous gérons le fonds de gravures en organisant des expositions ponctuelles, la vente se fait toute l’année à partir de notre site internet. Nous continuons à travailler régulièrement avec des galeries en France et en Europe, qui présentent nos éditions. Paris Print Fair est la première foire où nous sommes présents depuis depuis la fermeture de l'atelier. Je souhaite d’abord reconquérir une clientèle en France, celle que nous avions lorsqu’on exposait dans les salons.»


Par choix

Dans certains cas, plus qu’un simple instrument de diffusion de l’image, l’estampe devient un champ d’expérimentation. Nombre de ceux qui l’ont pratiquée, même de manière non exclusive, l’ont considérée par choix. Fondée en 1881, la galerie Sagot - Le Garrec, haut lieu de cette forme d’art, en présente des exemples significatifs. Son offre mêle artistes majeurs des XIXe et XXe siècles, dont Camille Corot, Odilon Redon, James Ensor, Henri Rivière, jusqu’à la période actuelle avec Annie Warnier ou Claire Illouz. Pierre Soulages, dont une belle lithographie de 1969 sera proposée par Le Coin des arts, a aimé différemment le papier et la toile. Tout autant que Pablo Picasso, Maria Helena Vieira da Silva, Olivier Debré et bien d’autres encore, dont on trouvera des tirages sur le salon. L’idée d’alimenter le marché de l’art à des prix moins élevés relève souvent du cliché. Et tant mieux si l’estampe représente un moyen pour les marchands de capter de nouveaux clients. La galerie parisienne Documents 15 revient défendre ses jeunes artistes (Charles-Élie Delprat) ou des graveurs plus établis (Charles Donker, Astrid de La Forest, Érik Desmazières). On aura aussi l’occasion d’y découvrir le travail de la Britannique Jenny Robinson, qui interprète en couleur des structures d’édifices.
 

Rembrandt Harmenszoon Van Rijn (1606-1669), Chaumière près d’un canal avec vue sur la ville d’Ouderkerk, vers 1641, eau-forte et pointe sè
Rembrandt Harmenszoon Van Rijn (1606-1669), Chaumière près d’un canal avec vue sur la ville d’Ouderkerk, vers 1641, eau-forte et pointe sèche, état unique, 14,1 20,7 cm. Galerie Sarah Sauvin.


Une offre européenne pointue
À cette deuxième édition, on relève avec satisfaction la présence de Lelong Éditions, acteur historique et majeur dans le domaine de la création actuelle. La galerie exposera des artistes connus du marché français, dont Barthélémy Toguo (gravure), Fabienne Verdier (sérigraphie) et Ernest Pignon-Ernest (tirage numérique), pour lesquels elle est l’éditrice. L’estampe représenterait autour de 3 % des transactions du marché de l’art et 16 % de celui de l’art contemporain. Ces chiffres traduisent un segment actif, mais recouvrent de grandes disparités de prix liées aux qualités intrinsèques des œuvres. Certaines feuilles, surtout dans l’ancien, peuvent atteindre des prix très élevés. Ce marché, qui reste «de niche», a porté la première édition de Paris Print Fair, nous confirme Christian Collin, actuel président de la Chambre syndicale de l’estampe, du dessin et du tableau, organisatrice du salon. Tout en ne fermant pas la porte aux œuvres à prix abordables, la manifestation parisienne ambitionne de consolider une offre européenne pointue, haut de gamme, face à sa concurrente new-yorkaise. L’exigence est donc de mise. Toutes les épreuves sont soigneusement étudiées par les marchands spécialisés, à même de fournir les informations techniques et scientifiques de leurs pièces les plus rares. Cet accompagnement pédagogique se révèle particulièrement nécessaire pour les nouveaux collectionneurs. Christian Collin a dû récemment mettre en garde les organismes professionnels sur l’apparition de simples reproductions numériques d’estampes qualifiées d’«impressions». Le succès de ce type de salon ne se mesure pas qu’au nombre de transactions avec des particuliers. Armin Kunz, de C. G. Boerner, le souligne : «Bien que nous vendions également à des collectionneurs privés, nos clients les plus importants sont les musées du monde entier». Les acheteurs institutionnels furent au rendez-vous de la première édition de Paris Print Fair, organisée parallèlement, tout comme celle-ci, au Salon du dessin dont elle est partenaire. Gageons qu’ils viendront à nouveau au couvent des Cordeliers.

à voir
Paris Print Fair, réfectoire du couvent des Cordeliers,
15, rue de l’École-de-Médecine, Paris VI
e.
Du jeudi 23 au dimanche 26 mars.
www.parisprintfair.fr
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