L’École des arts joailliers à Paris poursuit son exploration de l’histoire du bijou et, après le succès de l’exposition «Bagues d’homme» achevée le 30 novembre sur une fréquentation de douze mille visiteurs, nous invite à prendre l’air sur un thème léger et précieux à la fois : les paradis d’oiseaux. De fait, la mise en scène, sur un fond peint de nuages et dans des vitrines disposées comme autant de cages vitrées, met particulièrement en valeur cette myriade de volatiles branchés, perchés, volant ou au sol… ayant pour commune spécificité d’avoir trouvé un ancrage sur une broche, entre 1850 et 1960. La sélection provient de deux collections privées et du fonds patrimonial de la maison Van Cleef & Arpels. Avec justesse, elle insiste sur la place de la joaillerie dans l’art de son époque et rappelle en présentant tableaux et planches de botanique provenant notamment du Muséum national d’histoire naturelle comment la nature en est venue à être transformée en bijoux. Aux enchères, toutes les saisons se valent. Quel que soit le temps, les oiseaux se posent sur des vélins, des toiles, des porcelaines, et ils s’enveloppent de pierres comme de matériaux précieux.
La vogue des naturalistes
Éclose au XVIe siècle dans le sillage des grandes découvertes et de l’engouement pour les Naturalia, l’appétence des artistes pour la connaissance de la faune et de la flore ira croissant, pour s’épanouir véritablement à partir du siècle des Lumières. L’essor des sciences naturelles est porté par la multiplication des grandes expéditions, et le dessin devient partie intégrante du travail scientifique de description. En 1781, le naturaliste François Levaillant embarque à bord d’un navire de la Compagnie hollandaise des Indes orientales pour l’Afrique du Sud, où il collecte plus de deux mille oiseaux : ils seront la matrice de plusieurs traités, notamment de l’Histoire naturelle des perroquets… dont un exemplaire apparaissait, à 174 460 €, chez Audap Mirabaud en juin 2014. Les illustrations sont signées de Pieter Barbier et de Jacques Barraband (1767-1809). Ce dernier est l’un des plus fameux artistes animaliers de l’époque napoléonienne si l’Empereur aimait offrir à ses invités de marque son effigie frappée sur des médailles commémoratives, il tenait aussi à donner l’ouvrage richement paré. Ses aquarelles gouachées figurent aujourd’hui parmi les planches les plus recherchées par les amateurs de plumes, surtout lorsqu’elles ont conservé leur fraîcheur de coloris : 49 410 € pour Le Touraco géant (Blanchet & Associés, 21 juin 2017), 37 920 € pour un Canard orange d’Égypte (Ader, 10 octobre 2018). Barraband, qui expose des peintures sur porcelaine au Salon de 1798 à 1806, fournit également des dessins pour les manufactures des Gobelins, de Sèvres et celle de Dihl et Guerhard. La magnifique plaque présentée chez Briscadieux en novembre 2018 a obtenu un résultat à la hauteur de sa majesté : 585 800 € ! Tournai se fournissait pour sa part auprès du comte de Buffon, dont la célèbre Histoire naturelle des oiseaux fut la matrice du service dit «aux oiseaux de Buffon» commandé en juillet 1787 par le fastueux duc d’Orléans. Il comportait très précisément 1 593 pièces ornées de quelque 4 200 volatiles. Une écuelle et une assiette ayant fait partie de cet ensemble d’exception retenaient respectivement 37 800 € et 30 240 €, à Drouot le 23 mars 2018, chez Pescheteau-Badin.
Les joailliers l’aiment perché
Tout au long du XIXe siècle, les progrès des techniques permettent d’augmenter et de faciliter la qualité des impressions en couleurs, tout en diminuant les coûts de fabrication corollaire non négligeable. Le romantisme, le voyage et l’exotisme nourrissent aussi la création joaillière, qui va s’engouffrer dans cette brèche naturelle avec délectation. L’oiseau se fait bijou. On vante sa liberté, sa capacité à s’envoler toujours plus loin : c’est cette petite part de rêve que l’on vient accrocher en le choisissant comme parure les premières broches aux oiseaux voient le jour vers 1850. Certains volatiles seront plus recherchés que d’autres, leur plumage aimable leur garantissant un rendu des plus naturalistes. Ainsi des paons, colibris, hirondelles et autres oiseaux de paradis. C’est cette nuée colorée qui envahit en ce moment les salons feutrés de l’École des arts joailliers. Se prêtant de bonne grâce à toutes les audaces stylistiques, sans rien renier de sa beauté naturelle, elle est signée notamment Van Cleef & Arpels, Georges Sterlé, Charles Mellerio… Des noms se retrouvant aux enchères, parfois avec les mêmes modèles. Un volatile a le corps inséré dans un cabochon de corail, un autre dans un petit bloc d’azurite, ou dans une perle baroque, certains font la roue et se parent de gemmes diverses quand d’autres pépient sur leur branche… Que de variété, mais pour la plupart, ils sont fixés perchés ! L’œil serti d’un rubis, le plumage rehaussé de diamants, celui signé Van Cleef & Arpels un couroucou, en fait s’accrochait à 16 576 € dans un écrin aménagé la veille de Noël 2013 par Pierre Bergé & Associés. Les oiseaux de paradis chantent haut et fort, sûrs de leur beauté.
La valse des anonymes
Les volatiles modestes ne sont pas oubliés. En 1968, Van Cleef conçoit un clip «Moineau» en or jaune tout en grâce et en finesse, aux yeux doux ceints de saphirs, dont un exemplaire est en vitrine dans l’exposition de ce printemps. Un autre s’est posé à 5 483 € en octobre 2017, chez Aguttes. À Neuilly encore, mais en mars 2016, une broche du même joaillier figurant deux oiseaux au corps serti d’émeraudes et d’améthystes en cabochon, accrochée à 5 100 €, évoquait une famille branchée des années 1940. En 1944, juste après la Libération, Cartier crée «L’oiseau libéré», qui fait pendant à «L’oiseau en cage», dessiné par Jeanne Toussaint en 1942. Le volatile est construit avec des ailes en lapis-lazuli, une tête sertie de diamants et un corps en corail. Le 2 juin 2016, chez Pierre Bergé & Associés, une version jouait de ce bleu-blanc-rouge pour lancer son chant à 25 502 €. Rien ne semble pouvoir freiner l’imagination, et surtout pas les contraintes techniques. Bien au contraire, elles sont stimulantes : afin de transcrire l’anatomie de ces hôtes de passage, le joaillier les maîtrise toutes, ainsi que l’immense variété des gemmes à sa disposition. Le corps, les ailes, le bec, les pattes et bien sûr le plumage et le panache usent des plus inventives cheveux d’ange, pierres en grappe, pendantes ou relevées, pour n’en citer que quelques-unes. Les années 1960 seront ainsi marquées par l’éclectisme du goût. Classicisme, humour, foisonnement des couleurs et des formes… tout est permis ! Audace stylistique et perfection technique s’unissent avec beaucoup d’allure pour exprimer le parfum de la liberté. C’est le paradis.