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Ludovic Clément, le Semeur d’étoiles

Publié le , par Stéphanie Perris

Transfigurer la lumière, telle est l’ambition de Ludovic Clément d’Armont, dont les créations mêlent art et science, pour un voyage onirique dans un cosmos de verre et de porcelaine.

Ludovic Clément d’Armont devant un lustre Planètes. Photographie Speos - Olesya ... Ludovic Clément, le Semeur d’étoiles
Ludovic Clément d’Armont devant un lustre Planètes.
Photographie Speos - Olesya Shilkina

Lorsque l’on pénètre dans l’antre de Ludovic Clément d’Armont, à Viroflay, on a envie de se prendre pour le Petit Prince et de lui demander de nous dessiner une planète. Du haut de son mètre quatre-vingt-quinze à l’élégance british, il n’a pourtant pas, de prime abord, le profil du poète. Centralien, il a été dans une première vie ingénieur dans une entreprise spécialisée en domotique de bâtiment. Pour faire comprendre le fonctionnement d’une régulation de chauffage, des volets, etc., il a commencé à utiliser des luminaires dans ses démonstrations. Les clients se sont sérieusement intéressés à ses réalisations et lui, à se prendre au jeu. Il y a dix ans, l’évidence l’a emporté, et notre ingénieur a changé de vie en créant Semeur d’étoiles, son atelier de recherche et de production d’œuvres uniques autour de la lumière. Sa poésie a ainsi pu s’épanouir, avec comme source d’inspiration la nature, et peut-être cette injonction d’Apollinaire : «Il est grand temps de rallumer les étoiles.» En effet, pour ses premières installations, il perce les plafonds pour plonger dans le cosmos, semant des leds en une voie lactée irréelle et traduisant à sa manière les mots du héros de Saint-Exupéry : «Les étoiles sont éclairées pour que chacun puisse un jour retrouver la sienne.» Puis sont venues naturellement les planètes, se détachant en de subtils globes cristallins de tailles différentes. S’il les baptise des noms de Saturne, Vénus, Encelade, Titan ou Jupiter, il ne s’agit pas de copies littérales mais de réinterprétations artistiques. Il a tenté la couleur, s’inspirant de couchers de soleil ou de ciels nuageux, mais les amateurs restent pour l’instant plus attirés par ces surfaces laiteuses de verre travaillé avec de la poussière de marbre, composant des constellations oniriques. Récemment, il a poussé sa réflexion sur la contemplation avec un mur lumineux, L’Essence des choses, qui nous donne à regarder un film ou une vidéo comme jamais. Relié à celui-ci, pouvant ou non l’accompagner, il en reflète les ambiances chromatiques à l’aide de ses quarante-neuf petites appliques. Les scènes filmées deviennent sous son prisme des abstractions colorées mouvantes, rayonnant de manière hypnotique au gré des variations d’intensité. Une autre manière de se plonger dans Le Grand Budapest Hotel de Wes Anderson ou d’admirer la vidéo Camino del Sol de Sylvie Fleury, un plan fixe sur un escalator éclairé par une lueur dorée. Époustouflant.
 

Ludovic Clément d’Armont (Semeur d’étoiles), lampe tripode Coucher de Soleil, verre soufflé, câbles, 30 x 20 cm. Photographie Olesya Shilkin
Ludovic Clément d’Armont (Semeur d’étoiles), lampe tripode Coucher de Soleil, verre soufflé, câbles, 30 x 20 cm.
Photographie Olesya Shilkin

Scientifique poète ou poète scientifique ?
Mais que l’on ne s’y trompe pas, l’ingénieur poète n’a pas entièrement coupé le cordon avec sa première vie, car ses recherches commencent soit par un coup de crayon, soit par un… calcul mathématique. Pour les installations évoquant un collier par exemple, il a «travaillé sur les courbes et sur les formules des cosinus hyperboliques afin de savoir comment les formes allaient se placer dans l’espace.» Et d’ajouter avec malice : «Il faut que ce soit compliqué pour que cela m’amuse !» Comme un savant dans son laboratoire, il expérimente pour trouver la bonne texture, l’effet de surface, masquer tous les détails pour que n’apparaisse que l’essentiel et que la technique s’efface derrière la vibration de la lumière, le véritable matériau de l’artiste finalement. Ludovic sait précisément ce qu’il veut et ne cédera rien à son exigence. Pour cela, le temps est un facteur essentiel : «Lorsque la phase intellectuelle, les dessins et les calculs sont aboutis, il faut compter deux années pour la phase d’expérimentation.» Il maîtrise bien sûr les différentes techniques, le verre soufflé, le cristal taillé, la porcelaine, le travail du laiton, et bientôt le bronze, le nouveau chapitre qu’il devrait ouvrir ces prochains mois. Son plus gros défaut, comme il l’avoue lui-même, est sa difficulté à terminer une œuvre s’il n’a pas d’échéance, car il est plus intéressé par le processus que par un résultat qu’il connaît déjà : la résolution de problèmes est son véritable moteur. Il s’anime, les yeux brillants et le regard espiègle, lorsqu’il parle de son lustre mobile dont les sphères tournent dans toutes les directions sans se heurter : «Je n’ai jamais vu personne maîtriser un tel calcul des équilibres avec des formes complexes et des poids aussi importants.» Celui qu’il a livré pour la salle de bal d’un collectionneur anglais est asymétrique et fixe, «composé d’une trentaine de sphères en verre, dont la plus lourde pèse sept kilogrammes et mesure trente-six centimètres de diamètre. Le tout, accroché en un seul point, avec une structure en laiton parfaitement horizontale. Les tubes sont très fins et pourtant, à l’intérieur, passent des fils pour alimenter la trentaine de leds.» Il a poussé le vice jusqu’à résoudre un problème qui ne se posait pas, un défi supplémentaire : «Faire en sorte que le verre reste accroché, même si l’un des grands globes se casse.» On comprend mieux son affirmation : «La lumière me permet de faire travailler mon cerveau.»

Ludovic Clément d’Armont (Semeur d’étoiles) et Vincent Darré, Chenille, verre soufflé bouche, câbles, leds, laiton. Photographie Olesya Shilkina
Ludovic Clément d’Armont (Semeur d’étoiles) et Vincent Darré, Chenille, verre soufflé bouche, câbles, leds, laiton.
Photographie Olesya Shilkina

Pour une cocréation
S’il a un univers bien à lui, Ludovic Clément d’Armont a besoin du dialogue avec un collectionneur ou un décorateur pour que le projet soit véritablement unique et, surtout, pensé pour un endroit bien précis, ce qui lui permet d’adapter les œuvres à de nouvelles contraintes. «J’aime cette idée d’envahir le bâti, d’investir l’espace pour modifier la perception d’un intérieur et donner une personnalité à une pièce en jouant sur l’immatériel. Les collectionneurs parlent de mes créations comme de rêves, de choses qui les apaisent, de petits bonheurs qu’ils aiment à retrouver le soir en rentrant chez eux.»  Il recherche depuis peu cet échange avec d’autres créateurs, et tout particulièrement le décorateur Vincent Darré. Une rencontre qui semble improbable tant leurs univers s’opposent : lignes épurées et graphiques pour l’un, exubérance baroque et surréaliste pour l’autre. Ce qui les a réunis ? Une approche instinctive et une certaine naïveté. Après un moment pour se comprendre et s’apprivoiser, le second a proposé de créer une famille d’insectes à partir des sphères lumineuses du premier, auxquelles il a ajouté une pointe d’humour. Le résultat est un enchantement : une libellule, une araignée et une chenille sont déjà nées. Perchées sur leurs pattes ou articulées, elles peuvent être déplacées partout dans l’appartement, jouer de leur présence au point de perdre leur statut de luminaire pour devenir des objets familiers qui animent le quotidien. Les œuvres sont estampillées des deux artistes : un retour à la tradition des arts décoratifs selon Vincent Darré, qui voit en elles les pièces les plus ludiques de la collection présentée dans sa nouvelle boutique, inaugurée récemment rue Royale à Paris.  Si les créations du Semeur d’étoiles fascinent autant, c’est qu’elles touchent à l’universel et à notre âme d’enfant, prête à embrasser la beauté du monde dans la plus grande simplicité. Par sa vision et son appréhension, il prolonge la réflexion d’Albert Einstein : «La chose la plus belle qui soit est le mystère de l’univers, berceau de l’art et de la science.» Pour notre plus grand bonheur.

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