Les belles feuilles d’histoire naturelle, une histoire de passionnés qui se dessine à la frontière des mondes artistique et scientifique.
Le dessin d’histoire naturelle, et dans cette spécialité celui s’attachant à la représentation d’animaux exotiques, participe à sa façon à la découverte du monde. Sans les grandes expéditions des siècles passés qui ont permis la création des ménageries royales et princières, il n’aurait pas trouvé matière à exister. Une ménagerie est un lieu historique créé pour maintenir en captivité et présenter des animaux sauvages. Si le terme est utilisé pour la première fois en France au XVIIe siècle, son existence remonte bien plus loin, aux temps de l’Europe carolingienne. Chacune héberge des bêtes rares et inconnues, fruit de toutes les attentions. Celle de Charlemagne, à Aix-la-Chapelle, abrite un éléphant – arrivé en 802, il survit jusqu’en 810. Il s’agit du premier spécimen montré en Europe depuis la fameuse épopée d’Hannibal. Ours, singes, lions et surtout de très nombreux oiseaux exotiques se partagent les cages... et les faveurs des princes. Celles de la Tour de Londres, installées par Jean sans Terre en 1204, sont parmi les plus impressionnantes. On raconte que l’ours blanc d’Henri III, attraction majeure de l’époque, et cadeau du roi de Norvège en 1251, aurait été régulièrement tenu en laisse dans la Tamise pour y pêcher sa nourriture. Louis XIV ne sera pas en reste. Au XVIIe siècle, volatiles et autres petits animaux sont des ornements apprêtés pour distraire la Cour de France, les fauves étant réservés aux spectacles de combats. La ménagerie de Versailles, aménagée par l’architecte Le Vau à partir de 1662, est le premier projet du roi sur ce site promis à un brillant avenir. Les grands du royaume participent au même engouement, et c’est au sein de la ménagerie de Gaston d’Orléans que le dessin d’histoire naturelle va prendre vie. Ce frère du roi Louis XIII fait exécuter, pour orner les murs de son cabinet d’amateur, les premières aquarelles sur vélin – peau de veaux mort-nés –, à partir des plantes cultivées dans son jardin, et des oiseaux de sa volière du château de Blois. Les vélins, réunis en cinq grands volumes, passent, à sa mort en 1660, dans la collection de Louis XIV, puis ainsi de suite jusqu’au tout nouveau Muséum d’histoire naturelle, institué par décret de la Convention du 10 juin 1793.
L’établissement assure leur conservation, au sein de la bibliothèque nouvellement créée, tout en veillant à l’enrichissement de la collection. Nicolas Robert (1614-1685), dont le délicat poudré du cacatoès blanc est une preuve de maîtrise, est le peintre attitré de Gaston d’Orléans à partir de 1631. Ce dernier le remarque alors qu’il dessine des plantes pour les brodeurs. L’artiste travaille sous la direction artistique du professeur de botanique du Jardin du roi, et initie une école, qui produira pour de nombreux autres commanditaires, à la plus grande joie des collectionneurs d’hier et d’aujourd’hui ! Après la mort du prince, Robert est reconduit dans ses fonctions par Colbert. En 1666, il est nommé «peintre ordinaire du roi pour la miniature», fonction qui est en même temps un privilège, et chargé d’enrichir la collection d’au moins cinquante-quatre vélins par an ; ses œuvres, d’une indéniable beauté, en constituent le noyau. De nombreux artistes vont se succéder : Jean Joubert, Claude Aubriet, Marie-Magdelaine Basseporte et Gérard Van Spaendonck. Puis la Révolution passe par là, et conséquence inattendue, la vie des animaux royaux s’en voit bouleversée – avec la fermeture des dernières ménageries. Après la création du Muséum, il fut également décidé de poursuivre l’enrichissement de la collection. Trois peintres sont choisis pour s’atteler à cette tâche : les frères Redouté pour la botanique, et Nicolas Maréchal pour la zoologie, un artiste à la technique parfaite mais dont les dessins sont malheureusement très rares sur le marché. Les représentations du monde animal, jusque-là exceptionnelles dans la spécialité, vont se multiplier, et c’est ainsi qu’au XIXe siècle, la charge de maître de dessin pour les animaux du Muséum est créée. On est alors en 1823, et elle est confiée à Nicolas Huet. D’excellents artistes animaliers assureront la relève. La collection des vélins est à son apogée, les dessins étant toujours exécutés sous le contrôle d’un scientifique. Mais à côté de ces travaux officiels, d’autres artistes officient indépendamment de la tutelle du Muséum. Et notamment Jacques Barraband (1768-1809).
Ce peintre ornithologique très réputé, formé à Aubusson, sa ville natale, réalise plusieurs centaines d’aquarelles d’oiseaux et de fleurs, qui serviront d’illustrations aux grands livres in-folio de l’ornithologue François Levaillant. L’Histoire naturelle des perroquets (Paris, 1801-1805), l’Histoire naturelle des oiseaux de paradis (Paris, 1803), et l’Histoire naturelle des promérops et des guêpiers... (Paris, 1806), sont de magnifiques réalisations qui témoignent du talent d’un homme remarqué par Joséphine ; cette dernière lui commande de reproduire les oiseaux de ses serres chaudes de la Malmaison. En 1820, le zoologiste Heinrich Kuhl rend hommage à l’apport scientifique de Barraband en désignant un perroquet nouvellement trouvé en Amérique du Sud, Psittacus barrabandi ou caïque de Barraband. Ses aquarelles sont fréquentes en ventes et assorties d’une provenance, comme la bibliothèque de Marcel Jeanson, et atteignent de très belles enchères, à six chiffres pour les pièces les plus fraîches. Il est impossible de clore ce tour d’horizon en taisant l’œuvre si particulière d’un artiste inclassable : Aloys Zötl (1803-1887). Elle naît de l’inspiration d’un maître teinturier autrichien, peintre à ses heures perdues d’animaux fantastiques, dont la précision le dispute à une certaine naïveté. Ce n’est pas un hasard s’il est redécouvert par André Breton, qui reconnaît en lui une esthétique surréaliste, et écrit : «Faute de tout autre détail biographique en ce qui le concerne, on ne peut que rêver très librement à ce qui put conditionner l’entreprise de cet ouvrier teinturier de Haute-Autriche, qui de 1832 à 1887, mit un tel zèle à dresser le plus somptueux bestiaire qu’on eut jamais vu.» Ce texte est la préface du catalogue de la seconde vente de son atelier, organisée par Me Maurice Rheims en 1956. Depuis, c’est tout juste si l’on a appris, grâce à des archives familiales et à des vieux papiers d’état civil, que l’homme, qui n’a probablement jamais quitté sa vallée du Danube, a, un beau jour d’octobre 1831 reproduit une hyène d’après l’un des livres de sa bibliothèque d’histoire naturelle. À partir de cette date, les aquarelles s’enchaînent, toutes minutieusement datées, jusqu’au 3 octobre 1887, soit dix-huit jours avant son décès. Le mystère et l’étrangeté, il n’en faut pas plus pour affoler les enchères et passionner les collectionneurs.