Cet architecte va rencontrer André Gide par l’entremise de Théo Van Rysselberghe, auteur de son portrait à la touche pointilliste assagie.
La présence autoritaire ou au moins sûre de lui , de cet homme, représenté presque à mi-corps, attire le regard du spectateur. Il l’affronte, avec toutefois quelque chose d’interrogatif ou d’inquiet dans le regard. Il pose dans son intérieur et les tableaux, que l’on aperçoit derrière lui, semblent l’œuvre de ses amis pointillistes comme l’auteur de son portrait, Théo Van Rysselberghe. Le modèle, l’architecte Louis Bonnier, frise la cinquantaine. Il fréquente depuis quelques années le couple Van Rysselberghe, Théo, sa femme, Marie, et leur fille, Élisabeth, mère de l’unique enfant d’André Gide, mais aussi un milieu artistique plus traditionnel, si l’on peut qualifier ainsi Monet à la table duquel il se rend régulièrement. Outre la palette riche de nuances, posées selon le principe pointilliste de Seurat, transmis par Signac, qui charme par ses bleus de l’outremer au céruléen , avec des rehauts de rose et de vert du fond de cette composition, ce que cette œuvre raconte est une histoire d’amitié entre le peintre et son modèle qui fait revivre une époque où les proches des milieux anarchistes étaient tout de même admis parmi des membres de l’« establishment », comme on dirait de nos jours. L’architecte Louis Bonnier est l’un des principaux acteurs du passage de l’art nouveau à l’architecture moderne. En parallèle à son œuvre privée, il est nommé architecte de la Ville de Paris, occupe des fonctions dans divers services officiels traitant de ce qu’on n’appelait pas encore l’« urbanisme ». Parmi ces réalisations artistiques, rappelons qu’il fut l’architecte du Salon de l’art nouveau, aménagé par Samuel Bing, en 1895 ; pour l’Exposition universelle de 1900, il conçoit un globe terrestre qui ne sera pas exécuté pour le géographe et anarchiste Élisée Reclus. Ce dernier est proche de Van Rysselberghe : peut-être les a-t-il présentés ? L’architecte dessine les plans de son atelier de la rue Laugier, et est invité chez le peintre au Lavandou en 1904, où se trouve André Gide, l’idole de Marie Van Rysselberghe ; rencontre fructueuse, puisque Bonnier travaillera pour l’écrivain au projet de son hôtel particulier, situé villa Montmorency. L’artiste, fin observateur, note la décontraction du modèle posant dans son intérieur familier, et, fait étrange, de poser pour son propre portrait. Depuis quelque temps, Van Rysselberghe se délecte à brosser des portraits, nous livrant une belle galerie de ses amis, personnalités proches du mouvement symboliste, de l’Arts & Crafts britannique, et le groupe des XX d’Octave Maus.