C’est une chouette de Minerve, symbole de la connaissance et de l’érudition, qui orne cette année le catalogue et l’affiche du Salon du dessin, qui fait son grand retour au complet au palais Brongniart. Cette œuvre de Nicolas Robert (1614-1685) fut l’un des coups de cœur de Pierre Rosenberg, l’ancien président du Louvre qui a donné sa collection au profit du futur musée du Grand Siècle de Saint-Cloud, projet soutenu par Patrick Devedjian, alors patron des Hauts-de-Seine et trop tôt disparu du Covid. Si l’oiseau de nuit ne fait pas partie de la donation, un florilège en est dévoilé dans le cadre du salon, qui témoigne d’une intense passion pour les belles feuilles connues ou méconnues du XVIIe siècle, mais aussi jusqu’au XXe. Attribut d’Athéna, l’animal aux grands yeux ronds pourrait aussi être celui de l’éminent conservateur apôtre de Poussin. « Pour collectionner, il faut au moins l’une de ces trois choses : de l’argent, du temps et des connaissances. Peu de gens disposent des trois ! », confie-t-il. Si les connaissances, voire l’érudition, caractérisent une partie notable des visiteurs du Salon du dessin, conservateurs et spécialistes en tête, la manifestation attire par la variété des époques, des sujets, mais aussi des prix, un public plus vaste, mû par la curiosité et le goût. Une fois n’est pas coutume, elle ne se tient pas en mars à quelques jours de la Tefaf Maastricht, collectionneurs et conservateurs couplant souvent les deux, mais en mai, l’édition 2022 de la Tefaf se déroulant exceptionnellement fin juin. « Seize marchands participent aux deux, mais surtout avec des tableaux à Maastricht », explique Louis de Bayser, président du salon parisien. Les exposants de cette édition sont sur le pied de guerre dans l’attente des Américains. « Ce ne sont pas les visiteurs les plus nombreux mais les plus importants, souligne Louis de Bayser. Beaucoup de représentants, notamment du Getty à Los Angeles, du MET de New York ou du musée de Boston, ont annoncé leur venue. Certaines institutions n’ont rien acheté depuis deux ans ! » Gage de son aura, l'événement accueille aussi la remise du prestigieux prix de dessin de la Fondation d’art contemporain Daniel & Florence Guerlain, avec une présentation des nommés – Olga Chernysheva, Chloe Piene et Gert & Uwe Tobias.
Une semaine incontournable
Si Paris joue un rôle majeur pour attirer les conservateurs et collectionneurs étrangers, le Salon du dessin, qui célèbre sa 30e édition, a su devenir un rendez-vous incontournable et sans équivalent dans le monde. Il est le cœur d’une semaine dédiée aux arts graphiques fédérant de nombreuses institutions, mais aussi les maisons de ventes avec en point d’orgue la dispersion à Paris, et non pas à New York, d’un dessin de Michel-Ange chez Christie’s le 18 mai. Si le nombre d’exposants, trente-neuf, reste immuable, le salon en accueille cette année cinq nouveaux, dont trois italiens. Il s’agit des galeries Enrico Frascione, axée sur les œuvres anciennes et modernes, de Romano Fine Arts, de Florence elle aussi et qui prise notamment le XIX e, enfin d’Apolloni Laocoon, basée à Rome et à Londres et spécialiste du néoclassicisme. À cela s’ajoutent le marchand en ligne Ambroise Duchemin, fils du galeriste parisien Hubert Duchemin – qui apporte notamment un dessin de Spilliaert illustrant une scène de La Princesse Maleine de Maurice Maeterlinck, mais aussi Kupka avec un Bord de mer à Trégastel inattendu, Bourdelle ou Ingres –, et le duo féminin de Louis & Sack, centré sur l’art japonais d’après-guerre.
Les dessin anciens toujours vaillants
Si ces dernières années les feuilles modernes, voire contemporaines, ont gagné du terrain avec la raréfaction des dessins anciens — souvent entrés dans des collections ou des musées et dont les prix ont grimpé —, ces derniers restent très présents au salon. « Je dirais qu'un peu moins de la moitié des œuvres présentées sur les stands relèvent du moderne et du contemporain », estime Louis de Bayser. Le dessin ancien n’a pas dit son dernier mot. Parmi les pépites de cette édition figure une Étude d’un jeune homme vêtu d’un drapé, superbe œuvre de la Renaissance de Luca Signorelli, artiste soutenu par les Médicis. Proposée par Jean-Luc Baroni & Marty de Cambiaire, elle provient de l’ancienne collection Vita-Antaldi, notamment riche en dessins de Raphaël, et son prix tourne autour du million d’euros. Dans un tout autre genre, il faudra débourser plus ou moins la même somme pour trois études de têtes au pastel par Degas, chez Hélène Bailly. Celle-ci présentera aussi une sélection de feuilles du XXe siècle, comprenant les signatures d’Alexander Calder, de Bernard Buffet, Max Ernst ou encore Tom Wesselmann. Pour sa part, Michel Descours mise sur le Flower Power avec une quinzaine d’œuvres du Lyonnais Antoine Berjon (1754-1843), grand spécialiste des natures mortes dont le travail est au Louvre. Antoine Laurentin nous plonge dans les luxuriants philodendrons de Sam Szafran avec un portrait de sa femme Lilette en 2005. Stéphane Ongpin exposera un paysage de Cézanne représentant son motif le plus célèbre, la montagne Sainte-Victoire. Mais en ancien, l’une des créations les plus singulières de ce cru 2022 sera sans nul doute les Deux figures animées en mouvement de Luca Cambiaso, maître de l’école génoise du XVIe siècle, apportée de New York par la galerie W.M. Brady & Co : deux personnages – en train de danser ? – dont l’artiste essaie de restituer le mouvement, et dont il a curieusement remplacé les têtes par des cubes… Datant du XVIIe siècle, un superbe ibis rouge de Nicolas Robert à l’aquarelle ravira les amateurs chez de Bayser. Réputé notamment pour savoir dénicher des œuvres fort singulières, Talabardon & Gautier accrochera entre autres une scène d’Ulysse aux enfers de 1785 par le Suisse Johann Heinrich Lips, montrant le héros à son avantage. Sans compter bien évidemment toutes les œuvres gardées secrètes jusqu’à la dernière minute par les exposants ! Enfin, le Salon du dessin trace de nouvelles perspectives cette année en consacrant ses Rencontres, les 18 et 19 mai, à l’art des jardins et à la botanique. Une exposition sera en outre consacrée aux dessins d’Achille Duchêne, grand concepteur au XXe siècle de jardins privés inspirés de la tradition française, avec des œuvres prêtées par le musée des Arts décoratifs. Une visite guidée du parc de Bagatelle est aussi prévue… Une autre façon, aurait dit Voltaire, d’aller cultiver son jardin.