Contrairement aux idées reçues, il ne se résume pas aux poteries antiques. Orfèvrerie, armes ou arts graphiques... petit tour d’horizon des spécialités.
La grèce est beaucoup plus présente sur le marché de l’art que l’on pourrait le penser. Bien que de nombreux objets soient empruntés aux cultures européennes et ottomanes, en mobilier notamment, il en existe qui sont directement rattachés au folklore hellénique. La vraie difficulté est de parvenir à les distinguer d’objets fabriqués au Caire ou à Smyrne. En l’espèce, s’il arrive aux professionnels d’être dubitatifs, les collectionneurs avertis ne se trompent que très rarement. Ces objets typiques, très présents dans les ventes courantes, relèvent en majorité de l’artisanat. Les plus courus sont des boucles de ceinture d’un diamètre de 12 à 15 cm, en argent pour les plus belles, dont les prix varient de 300 à 1 000 € pour les plus communes et jusqu’à 3 000 € pour une exceptionnelle boucle ornée de coraux de Sathrampolis. Au XIXe siècle, ces boucles accompagnaient le manteau Pirpiri et les gilets traditionnels des Grecs. D’une manière générale, tout ce qui est en rapport avec la guerre d’indépendance est extrêmement recherché, à l’instar d’une pendule en bronze à l’effigie de lord Byron, vendue 8 055 € frais compris à Drouot par Tajan le 31 mai 2006 et dont il existe une dizaine de variantes ; certaines représentent des femmes grecques en armes, d’autres des guerriers grecs injustement assimilés à des mamelouks... Une belle vente de meubles à Paris ou à Londres contiendra presque toujours un cartel ou une pendule sur ce thème. Les amateurs d’armes anciennes pourront quant à eux compter sur de nombreux poignards, fusils et autres pistolets de type grec ou albanais, parfois qualifiés d’ottomans mais malgré tout clairement reconnaissables à la forme de la crosse grecque, qui se termine en queue de poisson. Toujours très présentes à Drouot, les céramiques de Creil-Montereau offrèrent au XIXe siècle une série en hommage aux luttes des Grecs pour leur indépendance : ces Troupes grecques en embuscade ou Femmes de Missolonghi exécutées vers 1830 peuvent être vendues jusqu’à 1 000 €. Selon Lucien Arcache, expert en art oriental à Paris, «la source [des objets d’art grec vendus à Drouot] n’est pas grecque. Il s’agit généralement de personnes qui ne savent pas ce qu’elles ont chez elles et qui, à l’occasion d’une vente de bijoux, découvrent que ce bien qu’elles ont toujours connu vient de Grèce. L’art grec est donc peu issu du commerce, mais essentiellement de collections privées». L’importance de la diaspora hellénique en France explique en grande partie le nombre pléthorique d’objets redécouverts : de revente en revente les ventes constituent désormais un territoire de chine incomparable. Quant aux acheteurs, renseignés par des cousins ou des amis de Paris, ils achètent très rarement de France. Un amateur enchérissant par téléphone sur de tels objets est à coup sûr un Grec d’Athènes ou de Londres, refuge des armateurs !
Paris et les Grecs
Si les maisons de ventes londoniennes se taillent la part du lion en attirant et en fidélisant la riche diaspora hellénique à l’occasion des « Greek Sales », ventes cataloguées proposant à 90 % des arts graphiques des XIXe et XXe siècles, la France a la chance d’abriter de nombreux objets encore à découvrir et d’avoir attiré, à partir des années 1950, des personnalités d’origine grecque qui ont pris part au développement du marché. Qu’il s’agisse d’Iris Clert (1917-1986), laquelle a fait connaître certains artistes majeurs de l’avant-garde du XXe, comme Chaissac, Fontana ou Takis, de Christian Zervos (1889-1970), expert en art grec, fondateur des Cahiers d’art en 1926 et auteur du catalogue raisonné de référence sur Picasso, ou de Tériade (1897-1982), éditeur et fondateur de la revue Le Minotaure et ami des plus grands artistes du XXe siècle, ces Grecs de Paris sont restés des références dans leurs spécialités. Notons à ce propos qu’une quinzaine de pièces de la prestigieuse collection de ce dernier – conservée par sa veuve, Alice Tériade, depuis sa disparition, en 1982 – ont été dispersées le 20 octobre 2007 chez Artcurial à Paris pour un montant total de 10 millions d’euros !
Enchères : les arts graphiques en première ligne
Pour les arts graphiques d’avant 1950, essentiellement ceux des XIXe et XXe siècles, les amateurs apprécient des œuvres représentant une Grèce qui n’existe plus, telle rue d’Athènes détruite depuis ou tel évènement religieux dans la vie d’un village du fin fond de l’Attique ou du Péloponnèse. Par nature restreinte, cette spécialité représente la portion congrue du marché, la part belle revenant aux arts graphiques de la seconde moitié du XXe siècle. La présence à Paris des Clert, Zervos, Tériade et autre Alexandre Iolas accentua le pouvoir d’attraction que la capitale française exerçait déjà sur la Grèce depuis le dernier quart du XIXe siècle. À cette époque, l’aura de la Ville lumière supplanta celle de Munich aux yeux des Grecs. Paris proposait de nouvelles conditions de création, libérant l’œuvre d’art des limites du seul visible, dépassant ainsi les imitations serviles du réel dont certains artistes grecs avaient du mal à se défaire. Si l’on ajoute à cela que la ville accordait aux artistes le droit à la subjectivité et leur laissait une grande liberté à une période où la Grèce se redressait à peine, on comprend que la capitale française représentait un véritable eldorado culturel. Et ce d’autant plus que, après la Seconde Guerre mondiale, en pleine guerre civile grecque, la France accueillit un grand nombre de jeunes artistes grecs, tels Coulentianos, Byzantios, Andréou, Nonda, Makris... À l’aube des années 1950 d’autres artistes les imitèrent, étant depuis plusieurs années déjà imprégnés de culture artistique française.
En effet, pendant l’entre-deux-guerres les milieux artistiques grecs vivaient à l’heure du « parisianisme », à tel point que des artistes grecs, dans leur propre pays, francisèrent leur nom –Gounaropoulos devenant Gounaro et Apartoglou Apartis ! Certains des artistes ayant émigré sont devenus des figures de tout premier plan, tels Takis (né en 1925), Fassianos (né en 1935) ou Ghika (1906-1994). D’autres se sont fait une place à des échelles de notoriété variables, à l’exemple des sculpteurs Sklavos (1927-1965), Pavlos (né en 1930), Philolaos (né en 1923) ou des peintres Caras (né en 1930), Vlassis Kaniaris (né en 1928), Kottis (né en 1949) et Tetsis (né en 1925). Aujourd’hui encore, ils sont nombreux à travailler à Paris : Xenakis, Santamouris, Nicoglou... Parmi les plus connus figure le peintre Alkis Pierrakos (né 1920), qui fréquenta Kokoschka au début des années 1950 et dont l’œuvre s’apparente aux tendances tardives d’un expressionnisme brut et baroque. En salles des ventes, pour cet artiste, compter entre 500 et 2 500 € pour une œuvre sur papier et jusqu’à 5 000-6 000 € pour une toile.
Quid des Niarchos et Onassis d’aujourd’hui ?
Même si le cœur des riches Grecs de la nouvelle génération bat en anglais, Paris restera toujours la ville de la légendaire rivalité qui opposa jadis les armateurs Niarchos et Onassis. Ces derniers, mais également Goulandris ou Benaki, achetaient essentiellement des œuvres anciennes et antiques, leur goût ne dépassant qu’assez rarement la période bleue de Picasso. Les collectionneurs d’aujourd’hui sont plus discrets, mais tout aussi présents. À l’instar du promoteur immobilier Dakis Joannou, qui a créé à Athènes en 1998 la fondation Deste, qui abrite des dizaines de millions de dollars de merveilles : Jeff Koons, Murakami, Cattelan, Duchamp, Picabia... ; le palais de Tokyo, en juin 2005, rendait d’ailleurs hommage à ce collectionneur impulsif en odeur de sainteté dans les foires et les salons internationaux. Mais également à l’exemple de l’avocat Vlassis Frissiras, qui a ouvert en novembre 2000 un musée à son nom dans le centre d’Athènes. Il y expose des peintres de la seconde moitié du XXe siècle, jusqu’alors inaccessibles pour le public athénien – Bacon, Erró ou Richter – et de jeunes artistes. Quant au jeune fondateur d’EasyGroup (Easyjet, Easycar...), fils de l’armateur Stelios Haji-Ioannou, qui dit avoir peu de temps pour ses loisirs, il passe quelques week-ends par an sur son yacht en Méditerranée dont certains disent qu’il s’agirait d’un véritable musée flottant. En dignes héritiers de leurs ancêtres, ces Grecs richissimes sont des nomades avisés en matière d’art et de commerce, pour qui «quand on aime, on ne compte pas». N’