La trentième édition du Salon du livre rare et de l’objet d’art sera une fête pour les passionnés du patrimoine écrit et artistique, et l’occasion de célébrer Mai 68, Apollinaire et le mystère de la création.
Qu’est-ce que le génie créateur ? Les tentatives de définition sont légion, comme s’il existait quelque graal pour saisir ce moment mystérieux de la création ; un héritage du romantisme qui voit naître la figure de l’artiste et de l’écrivain, époque où l’on commence aussi à conserver les manuscrits… La question est le fil rouge de la trentième édition du Salon du livre rare et de l’objet d’art, un thème permettant on ne peut mieux de créer des ponts entre les deux organisateurs, le Syndicat national de la librairie ancienne et moderne (SLAM) et la Chambre nationale des experts spécialisés en objets d’art et de collection (CNES). Et les réponses que les cent cinquante libraires et cinquante experts déploieront sous la nef du Grand Palais seront autant de propositions de voyage à la croisée de l’émotion, de la connaissance et du sentiment esthétique. Pour certains, ce sera l’occasion de faire vaciller les idées reçues. Non, Flaubert n’a pas écrit Madame Bovary spontanément d’un seul jet, il lui a fallu cinq années de labeur, tout comme Marcel Proust pour Du côté de chez Swann. Lorsqu’il le publie en 1913, ce dernier met fin aux allers-retours avec l’imprimeur qui lui envoyait des épreuves qu’il corrigeait aussitôt. En tout, il y a eu cinq jeux d’épreuves successifs, et la librairie Vignes présente une version définitive complète, à laquelle ont été adjoints des fragments avec ces corrections (100 000 €). Elle provient de la bibliothèque du grand universitaire Pierre Clarac, également coéditeur d’À la recherche du temps perdu dans la «Pléiade», en 1954. Ainsi, le génie créateur se livrerait à travers ces biffures, comme le peintre à travers ses repentirs ou le graveur au fil des différentes matrices marquant les étapes d’un même motif, telles celles réunies pour l’exposition que propose la BnF. Serge Gainsbourg aussi était adepte de la rature, comme le prouve un manuscrit dans lequel il joue avec les noms des couleurs, sur le stand de la galerie Manuscripta de Cyril Gaillard. Cette dernière s’est particulièrement intéressée cette année aux échanges épistolaires de personnalités : une lettre inédite de Frédéric II, roi de Prusse, à Voltaire (provenant d’un descendant direct de la servante du philosophe, 8 000 €) ou celle de Bacon, adressée à un collectionneur anonyme (3 200 €). Des prix raisonnables pour des autographes sur lesquels plane l’ombre de l’affaire Aristophile : «Ce marché a pris un coup dans l’aile», déplore Cyril Gaillard, d’où l’importance du choix de l’invité d’honneur, l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), «un centre d’archives incontournable, mettant en valeur la création littéraire du XXe siècle et qui permet de repositionner les libraires dans une démarche scientifique», souligne Henri Vignes, président du SLAM. «Nos professionnels sont des passionnés et des spécialistes de sujets pointus, qui mettent en valeur le patrimoine écrit», poursuit-il. On balaye en effet un vaste champ : le voyage, les armes, la botanique, la musique ou l’histoire, la grande ou celle de Paris. Sur le stand de la bien nommée librairie Sur le fil de Paris, Christelle Gonzalo est ainsi enchantée de partager la découverte d’un recueil de quatre plans dépliants de la capitale provenant de la Topographia Galliae (1655) ou, pour quelques centaines d’euros, d’un album comprenant vingt-cinq tirages photographiques «illustrant la construction du pont Jean-François Lépine en 1898, le dernier-né des ponts reliant la Goutte-d’or à La Chapelle», souligne-t-elle.
Jeune salon deviendra grand
Quelles que soient leurs marottes, les collectionneurs sont toujours exigeants. «90 % de ma clientèle fréquente les salles de ventes, il est donc important de présenter des pièces rares», relève Cyril Gaillard. Ce sera le cas aussi chez Laurent Coulet, qui a déniché l’unique exemplaire connu de la première édition illustrée de L’Adolescence clémentine de Marot (1536). Il faut aussi citer, chez l’Italienne Bado e Mart, la première édition d’un ouvrage d’astronomie représentant la sphère céleste (1603), la librairie Yvinec proposant un incunable, le premier livre d’astronomie imprimé (1491). Fabrice Teissèdre, de la librairie historique éponyme, a déniché «un livre du XVIIe siècle, qui a sans doute servi au jeune roi Louis XIV pour apprendre à lire. Il est annoté «Loui roi de France et de Navarre» avec un “s” oublié à Louis», s’amuse-t-il. 2018 est encore l’occasion de célébrer des anniversaires : le centenaire de la mort d’Apollinaire, mais aussi celui de l’armistice de la Première Guerre mondiale, avec un journal inédit d’un engagé volontaire de la Légion étrangère, chez Paris Libris, ou une mandoline créée dans le casque d’un soldat dans les tranchées, et bien sûr Mai 68, avec la sélection d’affiches de l’expert Michaël Seksik. La CNES poursuit son engagement pour la deuxième année, convaincue des synergies entre les deux secteurs. Robert Vallois, qui participe pour la première fois, l’affirme : «Ce jeune salon deviendra grand, par conséquent soyons excellents !» Il portera une attention au Hongrois Joseph Csaky (1888-1971), avec en particulier sa Figure perlée en bronze (40 000 €), présentée à côté du plâtre. Geneviève Baume, présidente de la Chambre, rappelle que celle-ci «n’est pas un organisateur de salon, mais vouée à former des experts». L’enjeu demeure donc avant tout de promouvoir cette profession. Jean-Michel Renard, expert en instruments de musique, aime à signifier que son rôle est d’«être là pour conseiller le public pour montrer une collection, la vendre, l’assurer», et de justifier du prix des objets. Les cinquante exposants illustreront leur rôle dans quarante spécialités, de l’archéologie à l’art contemporain, en passant par les bijoux, la Haute Époque, l’art tribal, les armes anciennes ou encore la mode. Tout cela passant aussi par une connaissance des savoir-faire, d’où le choix du deuxième invité d’honneur, le Conservatoire des arts et métiers, avec la mise en valeur des artisans du livre (relieurs, restaurateurs, spécialistes du papier…). Le maître d’art héliograveur Fanny Boucher qui a relancé la technique il y a presque vingt ans livre l’ouvrage à peine achevé avec le photographe de guerre Édouard Elias, Mediterraneum (tiré à vingt-cinq exemplaires, vendu autour de 2 000 €), un bijou tout en subtilité de noirs et de blancs. Sachez enfin que la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, est vivement espérée pour l’inauguration, le 12 avril… un soutien évident pour le secteur de niche.