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L’Afrique du Sud dans l’objectif de David Goldblatt

Publié le , par Sophie Bernard

Le Centre Pompidou rend hommage au photographe du Transvaal, qui, depuis plus de soixante-dix ans, sillonne son pays pour en documenter la complexité.

Petit propriétaire, aiguilleur de train, qui rêvait de faire un jardin, sans briques... L’Afrique du Sud dans l’objectif de David Goldblatt
Petit propriétaire, aiguilleur de train, qui rêvait de faire un jardin, sans briques ni ciment, irrigué par ce réservoir, Koksoord, Retfontein, province de Gauteng, 1962, épreuve gélatino-argentique, 48,5 x 33 cm.
Courtesy David Goldblatt et Goodman Gallery Johannesburg et Cape Town © David Goldblatt

C’est la première rétrospective d’envergure en France du photographe né en 1930 : après Henri Cartier-Bresson en 2014 et Walker Evans l’an dernier, le Centre Pompidou poursuit son exploration des grands auteurs issus de la tradition de la photographie documentaire avec le Sud-Africain David Goldblatt. S’il a été exposé aux Rencontres d’Arles en 2006 sur une proposition de Martin Parr, l’année où Raymond Depardon en était le commissaire invité , puis à la Fondation Henri Cartier-Bresson en 2011, son œuvre et son parcours restent peu connus du public français. Pourtant, l’homme est considéré comme le chef de file de la photographie sud-africaine, celui qui a ouvert la voie aux générations suivantes, les Santu Mofokeng, Guy Tillim, Pieter Hugo et, plus récemment, Zanele Muholi et Mikhael Subotzky. Si aucun d’entre eux ne se revendique directement de sa filiation, tous développent une écriture documentaire dans la continuité de la sienne, la plupart en s’attachant à décrire la société d’Afrique du Sud, tout comme lui. Les racines de l’œuvre de David Goldblatt, qui consacre l’intégralité ou presque de son travail à son pays natal depuis plus de sept décennies, puisent leur source dans son histoire personnelle. Né en 1930 à Randfontein, dans la région du Transvaal (sud-est du pays), au sein d’une famille d’immigrés juifs lituaniens ayant fui les pogroms à la fin du XIXe siècle, il commence à photographier dès 14 ans. Ses sujets de prédilection ? Ce qui l’environne : ses amis et ses proches, mais aussi les dockers, les pêcheurs et les ouvriers miniers, comme s’il avait instinctivement compris dès le plus jeune âge que l’appareil photo est un outil capable de révéler le réel et l’aider à le comprendre. «Je pense que la photographie est un support qui, d’une certaine façon, me permet de me rattacher au monde qui m’entoure et de rattacher le monde qui m’entoure à moi-même», déclarera-t-il bien des années plus tard. Fort de ces années d’auto-apprentissage, Goldblatt a déjà une certaine expérience lorsqu’en 1948, année de ses 18 ans, l’apartheid est décrété. Pas étonnant que, dès la mise en place des premières mesures discriminatoires, il ait la volonté de rentre compte de ce que lui, le petit-fils d’immigrés, ne peut considérer que comme une injustice. Pourtant, le photographe fera preuve tout au long de son parcours d’une certaine neutralité face à la réalité, choisissant de montrer aussi bien les Afrikaners que les partisans de l’ANC. Et de rester particulièrement humble quant au pouvoir de ses images, expliquant qu’«elles peuvent garder une trace de l’histoire, mais les photographies n’influencent en réalité que très rarement le cours des choses de façon concrète et perceptible». Tout en suivant des études de commerce, il continue à pratiquer la photographie et rêve de travailler pour la presse, mais sans grand succès. Jusqu’en 1963, année décisive où il décide de s’y consacrer à plein temps. Ses prises de vue sont alors régulièrement publiées dans son pays, mais aussi dans de prestigieux titres étrangers comme The New York Times Magazine, The Observer, GEO, The Sunday Times… Dès les années 1980, son travail est exposé au Cap et à Johannesbourg, à la Photographers’ Gallery et au Victoria and Albert Museum de Londres, pour l’être enfin au MoMA de New York, en 1998 et 2009. Une reconnaissance internationale, couronnée par le prix Hasselblad en 2006 et des participations à la documenta de Cassel en 2002, ainsi qu’à la Biennale de Venise en 2011.
 

Commando de sympathisants du National Party ayant escorté Hendrik Verwoerd, principal architecte de l’apartheid, aux fêtes du 50e anniversaire du part
Commando de sympathisants du National Party ayant escorté Hendrik Verwoerd, principal architecte de l’apartheid, aux fêtes du 50e anniversaire du parti, De Wildt, province du Nord-Ouest, 31 octobre 1964, épreuve numérique sur papier baryté, 33 x 48,5 cm. Courtesy David Goldblatt et Goodman Gallery Johannesburg et Cape Town © David Goldblatt


Documenter l’Afrique du Sud avant tout
Chroniqueur infatigable de la vie sud-africaine et souvent de Johannesbourg, où il a beaucoup vécu, David Goldblatt n’offre pas une vision frontale de l’apartheid. Au contraire, il choisit la transversalité pour en montrer les origines et les conséquences sur la vie des gens : séries sur les Afrikaners dès 1963, sur Hillbrow quartier blanc de Johannesbourg à partir de 1972, sur la démolition de Fietas quartier indien de la même ville lors des déplacements forcés dès 1976, ou encore sur les églises, monuments et autres bâtiments publics dès 1983. À l’attitude du reporter, qui traite de l’actualité à travers les faits, il préfère très vite une vision documentaire, en profondeur et sur le long terme. C’est pour mieux mettre en lumière ce parti pris que la commissaire, Karolina Ziebinska-Lewandowska, a choisi de consacrer l’intégralité du parcours à son travail effectué en Afrique du Sud. «De plus, j’ai opté pour un choix restreint de séries afin de présenter plus d’images pour chacune d’entre elles, comme celle sur les mineurs, qu’il a commencée très tôt. L’exposition, qui fait une place de choix à ses travaux de jeunesse, avec de nombreux inédits, démontre que son intérêt pour les sujets de société a été précoce», explique la conservatrice du cabinet de la photographie du MNAM.

 

Vendeuse, Orlando West, Soweto, Johannesbourg, 1972, épreuve numérique sur papier baryté, 28 x 28 cm.
Vendeuse, Orlando West, Soweto, Johannesbourg, 1972, épreuve numérique sur papier baryté, 28 x 28 cm. Courtesy David Goldblatt et Goodman Gallery Johannesburg et Cape Town © David Goldblatt


Engagé, mais pas activiste
Le style du photographe se caractérise par des compositions rigoureuses à l’intérieur desquelles ressortent des détails incisifs, ou des gros plans décrivant une réalité que l’œil ne peut percevoir dans le flux de la vie courante c’est le cas de la série «Particulars», réalisée dans les années 1970. «Attentif à ne tomber dans aucun systématisme, il a toujours refusé de s’enfermer dans une méthodologie ou une esthétique en particulier. Ainsi, s’il fait des portraits, il ne les organise pas dans une série uniforme», explique encore la commissaire. Son style n’est donc pas forcément identifiable, comme celui d’un Walker Evans, car il mise sur une grande diversité d’écritures, alternant par exemple les portraits posés, où les sujets fixent l’objectif, et les scènes prises sur le vif, rendant compte du quotidien des communautés qu’il photographie. Tant sur le terrain que dans la chambre noire, David Goldblatt met son extrême exigence au service de son propos, réfutant le spectaculaire et le superflu. Ses images sont denses et sans fioritures car son but est avant tout de témoigner du réel, pour informer et inciter à la réflexion. «Certes, il aborde des thèmes politiques et sociaux, mais ne prend pas parti car son engagement ne dépend pas de son jugement porté sur les événements», résume Karolina Ziebinska-Lewandowska. Ce n’est donc pas un hasard s’il reste fidèle au noir et blanc à quelques exceptions près, à la fin des années 1990. Cela lui permet de garder une certaine distance vis-à-vis du réel et de ses sujets. Et si l’on peut considérer qu’il est un photographe concerné et engagé, cela ne fait pas de lui pour autant un activiste, selon son propre terme, parce qu’il n’a «jamais cherché à influencer activement le cours des événements», comme il l’explique lui-même. Une posture noble lui valant le respect des générations suivantes, qui reconnaissent autant le photographe ayant documenté les soubresauts de l’Afrique du Sud sur plusieurs décennies que l’homme qui a fondé le Market Photo Workshop en 1989, une école de photographie fonctionnant selon un système de bourses, basée à Johannesbourg et destinée aux jeunes défavorisés. Un programme dont a bénéficié notamment Zanele Muholi (née en 1972), dont le travail sur la condition lesbienne en Afrique du Sud l’a projetée sur le devant de la scène internationale. Avec plus de deux cents cinquante tirages et de nombreux documents inédits issus des archives du photographe, ainsi que sept films spécialement produits par le Centre Pompidou pour cette rétrospective, le musée national d’Art moderne offre ainsi une plongée dans l’histoire tumultueuse de l’Afrique du Sud et dans une œuvre qui fascine, autant pour sa dimension esthétique que documentaire.

David Goldblatt en 5 dates
1952
Photographie les débuts de l’application de l’apartheid ainsi que les actes de résistance, comme les manifestations de l’ANC
1963
Devient photographe à plein temps
1968
Rencontre Nadine Gordimer, qui rédige les textes accompagnant ses images sur les mines, et début d’une collaboration de toute une vie
1983
Rétrospective au musée national des beaux-arts d’Afrique du Sud, au Cap, présentée ensuite à celui des beaux-arts de Johannesbourg
2016
Annule le contrat de legs de ses archives à l’Université du Cap, en signe de protestation contre la censure qu’elle exerce à l’égard de sa propre collection d’œuvres d’art
À voir
«David Goldblatt», Centre Pompidou, Paris IVe, tél. : 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr jusqu’au 13 mai.
«David Goldblatt», librairie Marian Goodman, 66, rue du Temple, Paris IIIe, tél. : 01 42 77 57 44, www.mariangoodman.com jusqu’au 17 mars.



 
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