Ce tableau n’a connu qu’un seul propriétaire, qui le conservait depuis plus de quarante ans. Associant qualités plastiques et puissance calligraphique, il invite à lire entre ses lignes.
Peint en 1977, cet acrylique d’Hans Hartung a d’abord été proposé par la galerie de France, qui l’a choisi pour ouvrir la plaquette de son exposition célébrant les 75 ans du maître de l’abstraction, en 1979. Son mouvement sinueux a immédiatement fasciné son propriétaire, qui a dû échelonner ses paiements sur plusieurs années pour pouvoir s’offrir ce coup de cœur. Il l’a conservé jusqu’à aujourd’hui, ce qui n’aurait pas manqué de toucher Hans Hartung. À l’époque où l’artiste réalise cette œuvre, certains s’étonnent de le voir travailler encore autant. Il leur répond en invoquant le recul que procure la vie au fil de l’âge, permettant de prendre conscience de ses acquis et de faire de nouvelles expériences. Un an avant ce tableau, Hartung a publié ses mémoires dans un ouvrage sobrement titré Autoportrait. Il souhaite désormais récolter les fruits de son savoir jusqu’au bout, et au maximum de ses possibilités, sa plus grande crainte étant de ne pas avoir le temps d’exprimer tout ce qu’il ressent.
Les années 1970 correspondent à une accélération de sa production, tant pour les peintures que pour les œuvres sur papier et les estampes, réalisées dans son atelier parisien de la rue Gauguet, dans le 14e arrondissement, et dans sa nouvelle propriété des hauteurs d’Antibes, où il s’est installé en 1973 avec Anna-Eva Bergman. Deux grands ateliers, dont l’un se déploie à ciel ouvert, lui offrent un terrain d’expérimentation idéal. «L’art me paraît un moyen de vaincre la mort. Un signe sur un rocher, un trait gravé et notre esprit remonte à la préhistoire […]. Les œuvres d’art témoignent pour l’humanité», confie-t-il à Valérie Brière-Maroger, en 1978. Par quelque biais que ce soit – volumes, couleurs, rythmes, etc. –, et au-delà des lois artistiques qui ont évolué au fil des siècles et des civilisations, chacun cherche à parvenir au sommet de son art. Le sien passe par une abstraction qu’il considère comme un moyen d’expression plus direct que la peinture ancienne. Elle représente pour lui un véritable langage en lien avec la réalité : «Il me semble ne rien pouvoir faire qui ne soit en relation directe et étroite avec elle», précise-t-il dans son autobiographie.
Dès les années 1930, trouvant sa propre voie, il donne ainsi la parole à ses signes graphiques, qui jouent avec ses fonds et ses aplats colorés. Sa calligraphie évolutive connaît un important développement dans les années 1950, alors qu’il noircit des centaines de feuilles de tracés à l’encre, constituant un laboratoire de formes et de gestes. Il libère progressivement ces derniers, qui gagnent en spontanéité et s’amplifient pendant la décennie suivante, tandis que la gamme chromatique reste circonscrite aux tons froids ou acides, auxquels il est resté fidèle dans cette œuvre. L’année de réalisation de celle-ci, 1977, marque un tournant, l’artiste diversifiant alors ses outils, du pulvérisateur à vigne au balai de branches de genêt, que l’on imagine volontiers laisser cette empreinte tangible sur la toile. Dans une frénésie de peinture qui ne le quittera plus, Hartung renouvelle plus que jamais son art pour laisser une trace.