Le maître de la BD s’invite à Arcachon avec deux couvertures de livre réalisées pour Jean Vautrin, homme de lettres et de cinéma. Rencontre entre les septième et neuvième arts.
Depuis le début de sa carrière, Enki Bilal n’a cessé de faire tomber les barrières entre les arts. Il a ainsi collaboré avec Alain Resnais, en 1980, pour l’affiche de son film Mon oncle d’Amérique puis, en 1982, pour les décors et costumes de La vie est un roman. Il renouvellera l’expérience du septième art trois ans plus tard, en compagnie de Jean-Jacques Annaud, participant à des recherches graphiques pour la préparation du long métrage Le Nom de la rose. Puis, très vite, l’artiste décide de passer derrière la caméra, et signe un premier film en 1989, Bunker Palace Hotel, qui sera suivi de six autres. Si, avec Enki Bilal, la bande dessinée investit le monde du cinéma, sa collaboration avec Jean Vautrin (1933-2015) a aussi permis la démarche inverse. Les deux hommes se rencontrent en 1986, et n’étaient sans aucun doute pas des inconnus l’un pour l’autre. Leur palmarès parle pour eux. Après avoir fait ses armes chez Pilote, Bilal publie Les Phalanges de l’Ordre Noir, en 1979. Ce sera son premier grand succès. La fameuse trilogie «Nikopol», à partir de l’année suivante, confirme le style du dessinateur, résolument moderne, dont les histoires, entre sensualité et violence, sont campées dans des mondes futuristes sombres et angoissants. Des albums qui nous renvoient d’ailleurs aux problématiques politiques et sociales contemporaines.
Deux artistes aux talents divers
L’univers et la personnalité de Bilal séduiront Jean Vautrin, grand amateur de films noirs et artiste protéiforme, lui aussi. Il a débuté dans le cinéma en tant que réalisateur et scénariste dans les années 1960, avant de se tourner vers la littérature la décennie suivante, mais aussi vers la photographie et le dessin. À son actif, un film avec Alain Delon Adieu l’ami, en 1968, un César du meilleur scénario en 1982 pour le mythique Garde à vue de Claude Miller (dialogues de Michel Audiard) puis, en 1989, le prix Goncourt pour Un grand pas vers le bon Dieu. C’est Enki Bilal qui réalise, en 1986, la couverture de son recueil de nouvelles Baby boom, dont la gouache sera présentée, lors de cette vente, avec une estimation de 6 000/8 000 €. Elle représente une figure de Maternité futuriste, en parfaite adéquation avec l’ambiance de cet ouvrage très noir, qui raconte notamment, sur fond de crise économique, comment de jeunes Américains désireux d’avoir un enfant finissent par se contenter d’une poupée de chiffon… Les deux hommes se retrouvent entre 1987 et 2009 sur la série de romans «Les Aventures de Boro, reporter photographe», dont Vautrin est le coauteur avec Dan Franck. Bilal dessinera les couvertures de ces huit volumes. La technique mixte du quatrième, Mademoiselle Chat, datée 1996, est annoncée à 10 000/12 000 €. On y retrouve tout l’univers du dessinateur et sa technique incomparable de rehauts de couleur au crayon. Le personnage principal, Blèmia Borowicz dit Boro, inspiré de Robert Capa, parcourt l’Europe entre les années 1930 et l’après-guerre. Cet opus le transporte, en 1939, en Inde, à la rencontre d’une fausse princesse roumaine, qui lui accordera ses faveurs mais lui interdira d’utiliser sa mystérieuse machine à écrire… Une énigme de plus, qui vaudra bien des ennuis à notre héros, poursuivi par des nazis furieux.