Fusain, pastel ou lavis... À l’occasion du Salon du dessin, retour sur quelques grandes feuilles qui, en 2006, ont connu de belles envolées.
Une simple feuille de papier et un crayon... Il n’en faut pas plus – sinon, bien évidemment, le talent de l’artiste – pour créer un dessin. Mais si cette forme d’art pictural n’exige en fait que des moyens réduits, ceux-ci ne s’en sont pas moins multipliés au fil du temps, pour transforme le monde du dessin en un domaine complexe. Schématiquement, on peut le subdiviser en deux selon les techniques utilisées, soit «sèches» (pointe d’argent, fusain, crayon, trois crayons, pastel...), soit «humides» (aquarelle et lavis). Pour compliquer les choses, hélas, ces techniques se combinent souvent. Ainsi, et pour n’en prendre qu’un exemple, les dessins au crayon rehaussés d’aquarelle et/ou de lavis ne constituent pas une rareté. Mais, plus qu’un ensemble de techniques, le dessin est un art. Longtemps, et même s’il y eut par le passé de nombreux amateurs – Mariette en est l’un des archétypes –, pour le collectionneur, le dessin demeura en quelque sorte subordonné à la peinture. Cette situation évolua au XIXe siècle, alors que la France pouvait s’enorgueillir de prodigieux dessinateurs – au premier rang desquels Ingres – et au moment où l’Europe entière se teintait d’anglomanie. S’épanouissait, aussi alors, en Grande-Bretagne, une pléiade de talentueux aquarellistes. Le dessin acheva ainsi de conquérir ses « lettres de noblesse » et, à l’image de celle des frères Goncourt dispersée à Drouot en 1897, de grandes collections se formèrent. Pourtant, le fait de réunir des dessins demeura longtemps une activité relativement secrète. Cela tient à la nature fragile de ces œuvres, qui souffrent d’être exposées à la lumière. Le progrès de l’histoire de l’art et celui des techniques de conservation provoquèrent une nouvelle évolution. La première permit souvent de débrouiller l’obscur maquis des attributions et d’éclaircir la genèse de certaines œuvres à partir de feuilles s’y rapportant ; grâce aux secondes on put désormais exposer les dessins dans des conditions assurant une meilleure sécurité quant à leur préservation. Tout ceci contribua à sortir le dessin de sa confidentialité. Y participèrent aussi les expositions qu’organisèrent les musées et les efforts des marchands. À ce titre, le Salon du dessin, qui se tient à Paris depuis une dizaine d’années et qui est devenu la plus prestigieuse manifestation de ce type, joua un rôle non négligeable.
Du Guerchin à Sam Szafran
Ainsi, cessant d’être considéré comme le « cousin pauvre » de la peinture, le dessin s’affirme désormais en tant que tel. Il fait d’ailleurs, et depuis de longues années maintenant, l’objet de ventes spécialisées contribuant à faire naître de nouvelles vocations de collectionneurs. En corollaire, les prix ont monté sans que l’on puisse toutefois – les spécialistes le soulignent – parler à leur propos de mouvement spéculatif. D’ailleurs il apparaît difficile de généraliser dans ce domaine, puisque nous évoquons ici des œuvres par définition uniques et n’offrant souvent que peu de points communs entre elles : pour un même artiste, un monde sépare un simple croquis d’un dessin abouti... Il nous a donc paru préférable de brosser un portrait – quelque peu « pointilliste », on en conviendra – de ce marché en nous bornant à évoquer certains prix relevés sur les mercuriales des ventes récentes, en classant les dessins en fonction de leur chronologie. Le hasard a fait que peu de feuilles du XVIe siècle sont passées en vente l’an dernier, mais relevons un Saint Jérôme par Il Sodoma à 352 000 $ (Sotheby’s, New York, le 25 janvier) et un Ecce homo par Farinati à 54 000 £ (Christie’s, Londres, le 4 juillet). Un peu plus abondantes, les œuvres du XVIIe siècle : au cours d’une superbe vacation, le 22 mars, la maison Piasa proposa ainsi une sanguine du Guerchin, Saint Christophe portant l’Enfant Jésus, et un crayon noir sur vélin de Visscher montrant Jan de Paep, concierge à la bourse d’Amsterdam, deux œuvres adjugées respectivement 78 220 et 117 930 €. À noter aussi les abondants appas d’une Muse vue par Rubens à 142 400 £ (Sotheby’s, le 5 juillet).
Passons au XVIIIe siècle avec le Portrait d’un jeune homme par G. B. Tiepolo, une sanguine avec rehauts de blanc sur papier bleu adjugée 90 000 € par Drouot-Estimations le 9 juin. Une Tête de jeune femme aussi exquise que minuscule (10 x 8 cm), traitée aux trois crayons par Watteau, se voyait couronnée de 159 940 € (Piasa, le 22 mars), tandis qu’une aquarelle représentant Le Passage de Marie-Antoinette place Louis XV à l’occasion de la naissance du Dauphin, par Moreau le Jeune, laissait dans son sillage 223 670 €. Si Hubert Robert décidait de montrer un Dessinateur dans une galerie d’Antiques (84 000 € chez Baron - Ribeyre & Associés, le 30 juin), J. L. David se signalait par des sujets austères, Les licteurs ramènent à Brutus les corps de ses fils morts, 1787 et Le fantôme de Septime Sévère apparaissant à Caracalla, deux feuilles de dimensions comparables, à la plume et au lavis avec rehauts de blanc, qui se vendirent respectivement 613 690 € et 480 000 $ chez Delorme - Collin du Bocage le 7 décembre et Sotheby’s le 24 janvier 2007. Lors de la même vente, faisant le lien entre les XVIIIe et XIXe siècles, une encre de Chine double face de Goya représentant des Femmes atteignait 1 048 000 $. Également double face, un petit dessin à la plume et au lavis (11 x 17 cm) par le baron Gros figurant Napoléon à Eylau, triomphait à 79 560 € (Piasa, le 22 mars). Dans un tout autre genre, notons les 520 000 $ de Tatiana et Oberon sur un lys, une féerie de Blake (Sotheby’s, le 25 janvier). Plus accessible : un Lièvre vu par Traviès, pour lequel furent nécessaires 25 950 € afin de débusquer de la collection Jeanson (Doutrebente, le 25 novembre 2005), peut-être à l’aide de ce Relais de chiens de Charles-Olivier de Penne, adjugé 37 350 € par la société Fraysse & Associés, le 26 avril suivant.
Rares et recherchés, les dessins impressionnistes et modernes ont des prix s’apparentant à ceux des peintures, surtout lorsqu’ils sont de grandes dimensions. Ainsi, deux petites aquarelles, l’une par Boudin, Crinolines sur la plage, vers 1870-72, l’autre par Berthe Morisot, La Mare aux canards, 1885, se vendirent 66 000 et 27 400 € (respectivement chez Rieunier & Associés - Choppin de Janvry, le 27 mars, et Beaussant - Lefèvre, le 16 juin), quand deux pastels de bonnes dimensions par Degas furent adjugés 618 220 € (Trois danseuses, Piasa, le 21 juin) et 4 164 000 £ (Trois danseuses, jupes violettes, 1896, Sotheby’s, le 5 février 2007).
Parmi les modernes, Picasso occupe une place à part et ses deux plus importantes feuilles vendues l’an dernier à Paris ont réalisé 474 780 € (Tête, Mougins, 1972, Camard & Associés, le 17 mai) et 242 910 € (Figure, 1937, Millon & Associés, le 22 mars). À noter aussi, chez Christie’s cette fois, deux excellents prix pour le Portrait de Marguerite, 1906-07 par Matisse et pour Le Remorqueur, 1917 par Léger, deux œuvres respectivement adjugées 500 800 et 321 600 £. Retournons à Paris pour une feuille d’un artiste contemporain, Sam Szafran, dont un grand pastel, Jardin d’hiver, 1985, a été adjugé 469 970 € par la maison Calmels - Cohen le 5 décembre 2005. In fine, un point important : contrairement à ce que les prix indiqués ici peuvent laisser supposer – dans le cadre d’un florilège, on cite par définition des chiffres spectaculaires –, le marché du dessin demeure largement ouvert... et l’amateur pourra trouver maintes feuilles intéressantes à partir de quelques centaines d’euros.