De la main de l’empereur

Il sera midi à Toulouse et 18 h à Pékin quand le premier coup de marteau tombera pour ce sceau personnel de l’empereur Qianlong (1736-1795). Un horaire idéal afin de faciliter les enchères des Chinois, toujours aussi avides de rapatrier leur patrimoine… en particulier quand l’objet en question a appartenu au plus lettré des souverains. Une manière de se rapprocher  quasiment au point de les toucher des doigts  des figures dynastiques ayant bâti leur pays. Le règne de Qianlong, qui stabilisa le pouvoir et élargit les frontières, est considéré comme l’apogée de l’empire du Milieu. D’autant que ce grand militaire et diplomate était également artiste, maîtrisant aussi bien la calligraphie et la peinture que la poésie. Afin de marquer de son empreinte ses divers écrits, mais aussi les œuvres d’art conservées dans son incroyable collection personnelle, pas moins de mille huit cents sceaux furent nécessaires. Un millier sont encore conservés à Pékin, mais sept cents environ auraient disparu… certains réapparaissant au gré des enchères pour le plus grand plaisir des collectionneurs ! Conservé dans une famille française depuis la fin du XIXe siècle, ce sceau est l’un des deux seuls connus  l’autre, d’ailleurs de forme similaire, appartient à la Cité interdite de Pékin , portant cette légende : «Qianlong Chen Han», c’est-à-dire «Écrit du pinceau de Qianlong». Une empreinte reproduite dans l’ouvrage de référence, Recueil des sceaux des empereurs et souverains de la dynastie Qing. L’Empereur s’en servait ainsi lui-même afin de marquer ses œuvres personnelles, calligraphies et poèmes réalisés de sa main. Qianlong était un collectionneur dans l’âme. Mandchou d’origine, il vénérait les arts chinois et voulait plus que tout les préserver de l’oubli. Il possédait des objets de toutes époques, de toutes disciplines, de tous matériaux et de toutes formes. Un principe de profusion appliqué également aux sceaux, dont les apparences étaient multiples. Ronds, rectangulaires ou carrés, en néphrite ou en stéatite, blancs ou rouges, à décor de dragons ou de paysages… Vous avez le choix !
 

L’équilibre naturel
Sculpté dans une stéatite beige de neuf centimètres de hauteur provenant des carrières de Shushan, à l’ouest de la Chine, notre modèle présente une base carrée et un décor se déployant sur les quatre faces, simulant les falaises escarpées d’une montagne dans laquelle se nichent une demeure entourée de murs et des pavillons isolés ; plus bas, des nuages en forme de ruyi de bon augure, une rivière, des ponts et des berges plantées d’arbres… Une représentation miniature de la nature dénommée Shanshui dans la peinture ou la littérature. La montagne y est le symbole du yang, l’eau celui du yin. Par la contemplation de ce paysage, l’homme s’imprègne de ses bienfaits et tente d’y trouver sa place. Sur un sceau Qianlong de forme et décor similaires, adjugé 600 000 € à Saint-Brieuc le 24 novembre 2013, est inscrit un poème choisi par l’empereur, s’inspirant de Tao Qian (365-427) : «Je perçois l’essence de la vie d’ermite, cependant c’est au-delà de mes paroles.» Parfois les mots sont vains, mieux vaut se taire et admirer !