Abstrait, concret, suprématisme, construit... Comment ne pas se perdre sur le chemin de l’art géométrique ? Quelques repères pour mieux saisir un marché toujours d’actualité.
L’art géométrique trouve ses origines vers 1900 avec le mouvement des «petits carreaux», puis le cubisme à partir de 1907, Marinetti, Kandinsky, Malevitch... Le doute n’était plus possible, cette tendance avait un sens, donc un grand avenir et, de facto, un marché ! Tout au long du XXe siècle, en effet, des mouvements épigones fleurirent, à tel point qu’aujourd’hui les arts graphiques et sculptures géométriques sont incontournables en salle des ventes. Pour les puristes, cette spécialité se subdivise en trois grandes tendances : l’art construit, l’art concret et l’art géométrique stricto sensu.
Prix élevés des raretés
La première de ces tendances, l’art construit, englobe des courants majeurs du XXe siècle dont le propos était basé sur une élaboration et une conception géométrisées – non encore géométrique – de la peinture. L’art construit s’est par la suite fondu dans les constructivismes européens jusqu’à l’art constructif de Vasarely et Georges Rickey. Devenues les Tables de la Loi de l’art moderne, les oeuvres cubistes ont quasiment disparu du marché, poussant les amateurs à se reporter sur les productions postérieures. Il en va ainsi du sort des futuristes italiens, du rayonnisme de Larionov et Gontcharova, du suprématisme de Malevitch ou de l’orphisme de Robert Delaunay qui sont revenus au tout premier plan, poursuivant leur ascension vers les sommets. En la matière, pas une saison sans un nouveau record !
Louis Marcoussis (1883-1941), Pluie, 1927, huile sur toile, 81 x 100 cm.
Paris, hôtel Marcel-Dassault, 20 octobre 2007. Artcurial - Briest - Poulain - F. Tajan SVV.
161 096 € frais compris
Les amateurs trouvent encore dans ces segments de très belles productions et n’hésitent pas à batailler ferme pour les acquérir, même lorsqu’il ne s’agit que d’oeuvres sur papier. Pour preuve, l’encre et aquarelle sur papier d’Umberto Boccioni titrée Studio for foot-baller, de 1913 – aux balbutiements du futurisme donc – vendue 1 866 950 € le 27 novembre 2007 chez Christie’s à Milan, alors que des toiles de l’artiste d’excellente facture mais postérieures ne dépassent pas le demi-million d’euros. L’art concret, quant à lui, désigne un groupe précis d’artistes, Hélion, Carlsund, Tutundjian et Wantz, réunis autour du Néerlandais Theo van Doesbourg (1883-1931), qui, en 1930, publia un Manifeste des bases de la peinture concrète enjoignant les artistes à élaborer un art issu d’une conception mentale n’utilisant que les lignes, les couleurs et les surfaces. Comme tout mouvement intellectuel, conquérir un public, et donc un marché, n’était pas chose évidente. Le marché de l’art concret est donc devenu, au fil du temps, une niche d’initiés dont les représentants les plus actifs sont aujourd’hui des collectionneurs allemands, belges ou suisses. Si l’aventure vous tente, comptez de 500 à 5 000 € pour les artistes les plus abordables, comme Andreas Christen et Nelly Rudin, mais jusqu’à 500 000 € pour les plus connus, tels Jean Arp, Graeser ou Richard Paul Lohse. Autrement, n’hésitez pas à découvrir les oeuvres multiples, tout aussi séduisantes, qui se vendent entre 250 et 700 €. D’une manière générale, une vente «Tableaux abstraits et contemporains» intégrera presque toujours des oeuvres concrètes des vedettes du mouvement, comme Jean Hélion. Les prix de ce dernier s’échelonnent de 4 000 € pour une gouache sur papier à 145 000 €, son prix le plus élevé pour une oeuvre concrète, Tensions, une huile sur toile de 1929 vendue chez Sotheby’s New York le 8 novembre 2007. Malgré la récente rétrospective du Centre Pompidou, le marché d’Hélion n’est pas à l’abri de la saturation, d’où le grand nombre d’invendus. Selon Richard Delh, fondateur de la K.A.D. Gallery à Bruxelles, spécialisée dans l’art concret, «les vrais amateurs d’art géométrique apprécient l’économie de l’abstraction dont fait preuve l’art concret, à l’image du peintre Gerhard Hotter, qui applique dans l’espace la théorie du mathématicien Langford ou du jeune photographe-designer Fabien Iliou, premier artiste à réaliser non seulement des photographies mais encore du mobilier d’art concret».
Jean Hélion (1904-1987), Équilibre, 1933, gouache et encre sur papier, 20 x 26,5 cm.
Versailles, 13 avril 2008. Perrin, Royère & Lajeunesse SVV
6 750 € frais compris
Géométrie invariable
Enfin, l’art géométrique, au sens strict, désigne cette tendance de l’art du XXe siècle qui a cherché à expérimenter systématiquement le pouvoir esthétique ou expressif des lignes, des figures géométriques et des couleurs en aplats. La recherche de l’idéal plastique est allée jusqu’au dépouillement complet avec Malevitch. Le suprématisme, mouvement qu’il a fondé et dont il fut le seul représentant, est une véritable ascèse plastique aboutissant à la création, en 1918, du célèbre tableau Carré blanc sur fond blanc, un point de non-retour artistique. Il va sans dire que les oeuvres suprématistes sont quasi introuvables – seulement quatre aux enchères depuis une vingtaine d’années –, sauf à être prêt à débourser, comme le 11 mai 2000 chez Phillips à New York, 17 M$ pour la toile Suprematist Composition. Il en va de même pour les oeuvres de Mondrian, dont les productions les plus représentatives de sa période géométrique valent très cher, jusqu’à 21 M$ pour une toile de 1941 vendue le 4 novembre 2004 chez Sotheby’s New York. Que les détenteurs d’un portefeuille moins garni se rassurent ! De réelles opportunités s’offrent à qui sait s’intéresser à cet art trop souvent compris comme réservé à quelques érudits : de belles feuilles de l’abstraction géométrique d’Herbin, de Jean Dewasne ou encore d’Aurelie Nemours sont couramment vendues à Drouot et en France dans des gammes de prix allant de 1 000 € pour un petit dessin ou une ébauche à 40 000 € pour des gouaches ou aquarelles particulièrement intéressantes. Ainsi, le 30 janvier 2008 l’étude Blanchet & Associés proposait à Paris une quarantaine d’oeuvres d’Albert Gleizes provenant d’une succession, à partir de 600 €. Lors de cette vacation, une encre et huile sur papier de 1916, Composition, estimée 8 000/10 000 €, est partie à 35 486 €. Pour Me Blanchet, «la tendance de ce marché se situe clairement à la hausse, car, les grands précurseurs étant hors de prix, les collectionneurs s’intéressent de près à des artistes – Lhote et Marcoussis, par exemple – longtemps considérés comme secondaires». Et les perspectives sont plutôt réjouissantes, car ce sont de jeunes amateurs qui, de Miami à Paris en passant par Singapour, font monter les prix depuis une petite dizaine d’années, appréciant la singularité de cet art «perçu» et «pensé» à la fois, et malgré tout distinct des tendances conceptuelles. À Drouot, des surprises sont en tout cas encore à prévoir tant les prix de ces artistes commencent à prendre racine dans le jardin des records ! Racine carrée, naturellement...