L’histoire a retenu de Jean-Paul Marat l’image du pamphlétaire et révolutionnaire assassiné dans sa baignoire par Charlotte Corday, au matin du 13 juillet 1793. Rares sont ceux, probablement, qui savent que «l’Ami du peuple» est aussi l’auteur de ce roman épistolaire et sentimental, sur le modèle de La Nouvelle Héloïse de Rousseau, dont on cède ici le manuscrit autographe. Rédigé vers 1770-1771 en Angleterre, où Marat a trouvé une place de médecin-vétérinaire à Newcastle, ce roman retrace les amours contrariées de deux jeunes aristocrates polonais. Gustave Potowski, qui a «une bouche dessinée par l’amour, des cheveux d’un noir d’ébène, une jambe faite au tour et une main douce, blanche et potelée», aime passionnément la ravissante Lucile Sobieska, qui possède «un teint de lis et de roses», fille d’un ami de son père. Au moment où l’on s’apprête à célébrer le mariage des deux tourtereaux, la guerre civile éclate et divise la nation entre le parti des Russes et celui des patriotes. Les amants sont séparés, leurs familles deviennent ennemies mortelles… Entre douleur des jeunes gens, vicissitudes de la guerre et perfidie d’une comtesse secrètement amoureuse de Gustave, les péripéties s’enchaînent. Tout finit bien toutefois, et l’union peut être célébrée. L’action se déroule de 1769 à 1771, dans un pays secoué par la guerre civile. Au-delà de l’intrigue sentimentale, ce sont les préoccupations politiques que souligne Marat. L’auteur, prenant manifestement parti pour les patriotes qui luttent pour la «paix, l’union, la liberté» contre la despotique Catherine II, se livre, vingt ans avant la Révolution française, à un réquisitoire en règle contre l’autorité monarchique et les tyrans qui dévorent «notre repos, notre liberté, notre sang». Et appelle à la révolte… Ce manuscrit, contemporain de son Essai sur l’âme humaine, ne fut publié qu’en août 1847 par les soins du Bibliophile Jacob (Paul Lacroix), dans le «musée littéraire» du journal Le Siècle, sous le titre Aventures du jeune comte Potowski. Et réédité plusieurs fois depuis, notamment chez Renaudot, en 1989. Difficile de faire autrement…