L’étoile de ces fiers combattants n’a jamais pâli, et les artistes se sont emparés de leur figure pour la fixer dans la pierre ou le bronze. Aujourd’hui, ils entrent glorieux dans l’arène des enchères.
Le musée attendu de la Romanité ouvre ses portes à Nîmes (voir page 301) ; pour son inauguration et jusqu’au 24 septembre, il a choisi de mettre sur le devant de la scène les gladiateurs, ces «héros du Colisée». Ce sera leur dernière halte après une tournée triomphale à travers l’Europe du Nord, les États-Unis et l’Australie, et avant un repos amplement mérité dans les salles des musées italiens qui les abritent habituellement. La commissaire de cette exposition, Rossella Rea, est aussi conservatrice au Colisée de Rome, un édifice indissociable de leur histoire. Les gladiateurs font régulièrement aussi leur apparition aux enchères, les artistes sculpteurs principalement n’ayant jamais cessé de s’intéresser à eux, et ce depuis les premières heures de leurs combats.
Retour sur un phénomène
Bien avant la musculature de Russel Crowe dans Gladiator, film de Ridley Scott sorti en 2000, c’est celle du Gladiateur Borghèse qui devait rétablir la célébrité de ces champions de l’Antiquité. Pourtant, conservée au musée du Louvre dans la collection italienne dont elle porte le nom, cette statue sculptée dans le marbre vers 100 av. J.-C. dans le Latium, appartenant à l’art grec hellénistique, représente en réalité tout simplement un guerrier combattant. C’est en raison du brassard de bouclier sur son bras gauche que l’œuvre retrouvée brisée dans les ruines de la villa Nettuno, au sud de Rome, au début du XVIIe siècle a été très longtemps considérée comme représentant un gladiateur, à tort ; d’autant que par souci de vérité historique, il nous faut préciser que les Grecs ignoraient les jeux du cirque. Elle devint aussitôt un exemple d’équilibre idéal dans les proportions pour fixer un mouvement d’effort, et sa célébrité lui valut d’être largement diffusée, maintes fois réinterprétée et copiée. Ce qui offre la possibilité d’en trouver des versions très différentes, de qualité et d’époque, aux enchères. Ainsi, le 3 juillet 2016, Pierre Bergé & Associés présentait un bronze attribué à Francesco Righetti (1738-1819), qui regagnait les coulisses à 25 808 €, et le 18 décembre 2015, chez Wapler, une réduction du marbre en bronze, datant de la fin du XVIIe ou du début du XVIIIe siècle, retenait 20 000 €.
La première attestation d’un combat de gladiateurs remonte à 264 avant notre ère, la dernière à 438 apr. J.-C., année qui marque l’abolition des jeux par l’empereur Valentinien III, le sage Constantin les ayant déjà interdits au IVe siècle, mais la mesure était restée sans effet. Entre-temps, le Colisée, spécialement édifié pour abriter les jeux et spectacles de cirque, aura vu défiler sous ses arches de pierre nombre de venationes («chasses») et autres munera («combats de gladiateurs»). L’empereur Vespasien en commença les travaux en 72 et son fils, le «souriant» Titus, l’inaugure en l’an 80 par cent jours de festivités. Le peuple romain exigeant ces manifestations, la classe dirigeante y était contrainte, par la loi ou par son souhait de gagner la faveur des citoyens. Tous les historiens s’accordent sur ce point : lorsque les dignitaires offraient ces jeux de mort, ils faisaient étalage de leur puissance et s’assuraient une certaine paix sociale en maintenant la plèbe hors du jeu politique. Néanmoins, en ce qui concerne les gladiateurs, beaucoup d’idées reçues principalement diffusées par les historiens du XIXe siècle et les péplums hollywoodiens des années 1950 circulent encore.
Un combat très lucratif
L’exposition devrait contribuer à battre définitivement en brèche les clichés Nîmes étant déjà à la pointe sur le sujet, avec des reconstitutions historiques annuelles au sein de ses arènes et les collections d’antiques exposées dans l’ancien musée archéologique. Ce dernier possède notamment quatorze stèles de gladiateurs, de simples monuments fort émouvants, car ils les sortent de l’anonymat. Leur vie y est résumée en quelques lignes : nom, lieu de naissance parfois, âge de mort et nombre de combats remportés. On apprend aussi qu’ils étaient souvent mariés, puisque ce sont les épouses qui posaient ces plaques funéraires en leur mémoire. Leur vie était rude et souvent courte , mais dans la plupart des cas, ils l’avaient choisie : si les premiers munera romains étaient donnés avec des prisonniers de guerre, l’essentiel des troupes sera ensuite constitué de véritables professionnels, esclaves et hommes libres. S’y trouvaient en quelque sorte des mercenaires, des soldats désœuvrés de retour de campagne en quête d’une solde ou, tout simplement, des hommes aimant les combats et voulant faire preuve de leur force. Des sportifs de haut niveau, d’un genre tout de même un peu particulier Les risques sont élevés, les récompenses matérielles aussi en cas de victoire, sans parler du succès auprès de la gent féminine…
Il existe différents types de gladiateurs : le samnite, lourdement équipé d’un bouclier, d’une épée, d’un casque, de jambières et de brassières ; le rétiaire moins protégé, mais plus léger et rapide, sans casque ni cuirasse, simplement doté d’un trident, d’un poignard et d’un filet pour prendre son adversaire, ou encore le thrace avec casque et glaive, d’autres duellistes s’ajoutant au fil des années. L’image véhiculée par les artistes évolue selon les siècles. Si le XVIIe privilégie une nudité héroïque et une force herculéenne, dans l’esprit du Gladiateur Borghèse, le XIXe siècle, lui, s’attache à donner plus d’humanité et à autoriser la souffrance. Il en va ainsi du buste de Richard Aurili, fondu en bronze vers 1900 (Thierry de Maigret, 25 mars 2015, 2 629 €), du Gladiateur à terre d’après un modèle du napolitain Metello Amadio (Drouot-Estimations, 24 juin 2015, 1 736 €) et du Gladiateur acclamé de Jean-Léon Gérôme (Le Floc’h, 20 octobre 2017, 1 860 €). Ce dernier a peint en 1859 une imposante huile sur toile (116,8 x 172,7 cm) titrée Ave Caesar ! Morituri te salutant («Ave César, ceux qui vont mourir te saluent»), conservée à la Yale University Art Gallery, aux États-Unis. L’œuvre, saisissante notamment grâce aux effets de lumière, illustre la sentence entrée dans la postérité… mais qui doit elle aussi être démystifiée, puisqu’elle n’aurait pas été prononcée par des gladiateurs. Ces rétablissements de vérité n’entachent en rien la célébrité de ces derniers, au contraire, ils n’en deviennent que plus homme.
De Sénèque à Astérix
À un bout de l’histoire, on trouve Sénèque, qui, dans ses Lettres à Lucilius, réagit contre la violence de ces spectacles et surtout exprime son dégoût devant le plaisir que les citoyens ressentent à acclamer tant de cruauté : «Romains ! ne sentez-vous donc pas que l’exemple du mal retombe sur ceux qui le donnent ?» ; à l’autre, Uderzo et Goscinny. Ils ont apporté leur glaive à cette épopée en la personne de leur cher Astérix. Astérix gladiateur, quatrième album de la série, édité en 1964, conduit le courageux Gaulois dans les arènes romaines pour délivrer le barde Assurancetourix, promis par César à une fin tragique lors des prochains jeux du cirque. Sourires garantis, quelques poncifs aussi, comme la célèbre course de chars rappelant celle de Ben Hur. Le 15 novembre 2008, la maison Millon adjugeait la planche n° 41, parue dans le journal Pilote, pour 312 491 € et, le 10 avril 2011, c’était au tour de la n° 36 de faire une apparition remarquée à 285 016 € chez Kahn & Associés. L’exposition de Nîmes invite bien à lire un nouveau chapitre.