Peint à quatre mains, ce portrait du chef de file du surréalisme, et ami du couple, emploie une technique chère à Ernst : le grattage.
Il y a presque 20 ans exactement, le 14 avril 2003, la maison de ventes Calmels - Cohen organisait à Drouot la dispersion de la collection d’André Breton, à savoir l’entier contenu de son atelier du 14, rue Fontaine. Celui-ci avait été méticuleusement conservé par sa femme Elisa et sa fille Aube, trente-six ans durant. Notre toile y figurait en bonne place au catalogue – entre une peinture de Victor Brauner et une autre d’Arshile Gorky –, sous le numéro 4076, accompagnée d’une estimation de 60 000/90 000 €. Elle était finalement acquise par un collectionneur milanais, qui choisit aujourd'hui de la revendre en France, là où elle fut créée.
Je t’aime moi non plus
Quand Max Ernst et Marie-Berthe Aurenche peignent cette toile en 1930, le couple est marié depuis trois ans. Partie intégrante du groupe surréaliste, celle que l’on surnomme Ma-Bé est la deuxième épouse de Max Ernst. Peintre elle aussi, elle gravite dans les milieux artistiques parisiens, rencontre Foujita, Prévert ou Cocteau, lequel la fait engager comme mannequin chez Chanel. Pour ce portrait de Breton, elle se charge de la disposition générale, peignant le sol carrelé, le feuillage luxuriant et le paysage marin en arrière-plan. Ernst s’occupe quant à lui des figures – le visage de Breton est réalisé d’après une photographie d’Henri Manuel – et retravaille la surface de la toile selon la technique du grattage – mise au point quelques années auparavant –, utilisant un peigne pour la composition et y insuffler de la vie. Le couple peignit très peu d’œuvres ensemble. Ils divorcent finalement en 1936. Marie-Berthe se remettra difficilement de la rupture. Remariée à Chaïm Soutine en 1940, la voilà veuve en 1943. Souffrant de dépression, elle se suicide en 1960.
Au moment de la création de l'œuvre, Max Ernst est déjà parfaitement reconnu comme une figure du surréalisme. En 1925 à Paris, il participait à la première exposition du groupe à la galerie Pierre (Loeb). Si ce portrait, offert par le couple à André Breton, illustre la complicité entre les deux hommes, leur relation ne fut pas toujours simple. Ils se connaissent depuis 1920 et leur contribution à la revue La Chamade. En 1926, Ernst s’attira les foudres du poète pour avoir collaboré avec Joan Miró à la création des décors de Roméo et Juliette pour les Ballets russes. Après avoir quitté une première fois le groupe surréaliste en 1938, Ernst en sera définitivement exclu par Breton en 1954, ainsi puni pour avoir accepté le Grand Prix de Venise.