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Abou Dhabi, malgré le deuil et la pluie

Publié le , par Pierre Naquin et Hugues Cayrade

La foire de niche émiratie confirme son professionnalisme, même s’il semble encore difficile d’en identifier la véritable cible.

Senaka Senanayake (né en 1951), Blue Lotus, 2019, huile sur toile, 122 x 122 cm.... Abou Dhabi, malgré le deuil et la pluie
Senaka Senanayake (né en 1951), Blue Lotus, 2019, huile sur toile, 122 122 cm.
Courtesy Grosvenor Gallery. Abu Dhabi Art

Une pluie diluvienne, pour le moins inhabituelle dans cette région, a perturbé le programme de la 11e édition d’Abou Dhabi Art, qui s’est déroulée du 21 au 23 novembre au centre culturel Manarat Al Saadiyat, sur l’île du même nom de la capitale des Émirats arabes unis. Le vernissage VIP a dû être avancé d’un jour et la fréquentation a peut-être pâti des mauvaises conditions météo, auxquelles est venu s’ajouter le décès soudain de Sheikh Sultan bin Zayed, frère du prince héritier, entraînant plusieurs jours de deuil national. En dépit de ce contexte troublé, une cinquantaine de galeries, venues du Moyen-Orient, d’Asie, des États-Unis et d’Europe, ont participé au nouveau rendez-vous de cette «foire-boutique» dédiée à l’art moderne et contemporain, organisée par l’Autorité du tourisme et de la culture d’Abou Dhabi. Depuis 2016, Dyala Nusseibeh, la fille du secrétaire d’État Zaki Nusseibeh, l’un des plus grands collectionneurs du pays, dirige cette foire, dont elle a accentué le professionnalisme et l’ancrage dans une région à fort pouvoir d’achat. La Chine et l’Inde étaient à l’honneur d’Abu Dhabi Art Fair 2019, à travers ses sections «Nouveaux horizons». Les participants ont également unanimement salué la qualité de la section spéciale «Focus», curatée par Omar Kholeif, directeur des collections de la Sharjah Art Foundation, et consacrée avec l’apport de jeunes galeries au dessin et à la cartographie dans le monde arabe.
Des achats réfléchis
À l’heure du bilan, les exposants témoignent d’un réel enthousiasme, en dépit d’un niveau de ventes variable. «Je retiendrais la qualité des expositions et l’arrivée de nouvelles galeries internationales. C’est de bon augure», indique Charles Pocock, de la galerie Meem, à Dubaï. «Le rythme de la foire est lent et les achats y sont réfléchis», confie le marchand indien Amrita Jhaveri. Ce que ne conteste pas le galeriste Hadrien de Montferrand qui, venu de Pékin, a vendu sur le salon un tableau de Lu Chao à une importante famille de Dubaï, entre autres… «J’ai eu la chance de vendre une partie de ma collection personnelle d’œuvres du grand artiste Hassan Sharif, dont une pièce pour 65 000 $», indique la locale de l’étape Salwa Zeidan, tandis que de son côté, Roshini Vadehra, de New Delhi, évoque des ventes soutenues comprises entre 10 000 et 50 000 $. «Une bonne expérience», résume Cindy Lim, de l’enseigne hongkongaise Tang Contemporary Art, qui s’est séparée de plusieurs pièces de ses artistes «maison», entre 30 000 et 40 000 $. «La fréquentation n’est pas aussi importante que dans les autres foires auxquelles nous participons, mais la présence de nombreux conservateurs de musées et d’institutions culturelles de la région la rend extrêmement intéressante, précise Charles Moore, de Grosvenor Gallery, à Londres. Les ventes auraient pu être pires, je crois. Nous avons vendu des peintures de l’artiste sri-lankais Senaka Senanayake entre 15 000 et 35 000 €. Si nous devions revenir, ce serait avec des œuvres plus anciennes.» Son propos est relayé par Isabella Icoz, responsable de Lehmann Maupin : «Le salon nous a surtout permis de conforter nos bonnes relations avec de nombreuses institutions éminentes des Émirats». «Compte tenu du positionnement d’Abou Dhabi en tant que foire destinée à la communauté locale, aux institutions et aux musées, nous estimons que l’exposition que nous avons consacrée au moderniste marocain Mohamed Melehi était tout à fait appropriée. Nous avons eu de nombreux acheteurs pour des œuvres qui s’échelonnent de 50 000 à 110 000 $», se félicite pour sa part Asmaa Al-Shabibi, de l’enseigne Lawrie Shabibi installée à Dubaï, tout comme la Green Art Gallery qui donnait à voir des dessins et des sculptures d’Afra Al Dhaheri, lesquels ont tous trouvé preneur. «Les peintures de Kamrooz Aram ont également fait l’objet de beaucoup d’attention, avec la vente de l’une de ses toiles, exposée il y a peu au musée Dhondt-Dhaenens, en Belgique», renchérit sa responsable, Ekaterina Plastinina.

Les exposants témoignent d’un réel enthousiasme en dépit d’un niveau de ventes variable.

Regarder l’avenir
«Nous avons vendu six des neuf sculptures présentées, à des prix allant de 20 000 à 60 000 $, note Saleh Barakat, de la galerie beyrouthine Agial Art. AD Art est une jeune foire qui cherche continuellement à trouver son créneau. L’équipe organisatrice fait de son mieux, et je crois fermement qu’avec davantage de publicité et un positionnement entre le monde arabe, le sous-continent indien et la Chine, elle peut devenir une véritable plaque tournante de l’art.» Présente depuis le début à la foire d’Abou Dhabi, la new-yorkaise Leila Heller se réjouit : «Nous avons vendu de nombreuses œuvres de Ran Hwang, de 45 000 à 200 000 $.» Autre fidèle, la galerie hongkongaise Hanart TZ se déclare également «ravie» du niveau des transactions réalisées dans la capitale des émirats. Les enseignes new-yorkaises dont c’était la première participation affichent aussi une relative satisfaction. «Nous avons eu de bonnes relations avec les collectionneurs émiratis et ceux qui sont venus de New York, de Caroline du Nord, d’Honolulu, d’Amsterdam, de Moscou, de Bombay ou de Shanghai, explique Nina Levent, de Sapar Contemporary. Ce serait intéressant que la foire puisse élargir son public à la région MENASA (Moyen-Orient, Afrique du Nord et Asie du Sud), voire à ses extrémités, comme l’Asie du Sud-Est, le Caucase et l’Asie centrale. Cette partie du monde est importante pour notre galerie, car elle est constitutive de son ADN.» Le bilan est aussi nuancé pour Alissa Friedman, du Salon 94, autre primo-exposante : «Les ventes ont été minimes, mais le contexte local, avec la mort d’un membre de la famille royale, y était sans doute pour beaucoup. Cela dit, nous avons placé des œuvres majeures d’artistes de la galerie, Ibrahim el-Salahi et Huma Bhabha, dans d’importantes institutions des Émirats arabes unis ces deux dernières années, et il est important d’y développer les contacts.» Face au mastodonte régional Art Dubaï, dont la 14e édition aura lieu en mars 2020, la boutique fair d’Abou Dhabi continue donc de tracer son bonhomme de chemin. Et de faire valoir sa spécificité.

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