Chagall, de la poésie à la peinture

Une estimation raisonnable, de belles dimensions, un état de fraîcheur parfait, des teintes éclatantes… tout semble réuni pour que l’estimation soit dépassée. Notre feuille a été exécutée entre 1926 et 1927 à la demande du marchand d’art et éditeur, Ambroise Vollard. «C’est au peintre russe Marc Chagall que je demandai l’illustration du livre. On ne comprit pas ce choix d’un peintre russe pour interpréter le plus français de nos poètes. Or, c’est précisément en raison des sources orientales du fabuliste que j’avais songé à un artiste à qui ses origines et sa culture rendaient familier ce prestigieux Orient. Mes espérances ne furent pas déçues : Chagall fit une centaine de gouaches éblouissantes.» Cette commande est, pour le peintre originaire de Vitebsk, arrivé à Paris en 1910, un passeport pour la France, une façon de s’enraciner dans sa culture. Pendant qu’il travaille, Bella son épouse lui lit les Fables à haute voix, suscitant son inspiration et son imaginaire où se mêlent couleurs et atmosphères de son pays natal, de la Bretagne, de l’Auvergne et du Midi. Le décès de Vollard en 1937 interrompt le projet, qui ne sera pas repris. Mais le livre sera publié en 1952 à l’initiative d’André Tériade, le peintre ayant récupéré les plaques quelques mois auparavant. Entre-temps, Chagall a gravé quelques plaques en vue d’estampes, dont certaines ont vu le jour. Les cent gouaches sont exposées en 1930 à Paris, Bruxelles et Berlin, et achetées par presque autant de collectionneurs. Une trentaine sont connues à ce jour, dont la nôtre. Parue en 1691 dans Le Mercure galant, la fable des deux chèvres s’inspire d’un récit de Pline l’Ancien. La conclusion n’est toutefois pas la même… Pour l’auteur ancien, l’un des deux animaux se couche sur le pont pour laisser passer l’autre au-dessus de son dos, pour La Fontaine tous deux tombent dans l’eau, aucun ne voulant reculer. Un exemple de sottise humaine comme savait conter le poète… toujours d’actualité.