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L’univers fantastique d’Erté

Publié le , par Claire Papon
Vente le 06 novembre 2019 - 14:00 (CET) - Salle 10-16 - Hôtel Drouot - 75009

Conservé depuis plusieurs décennies dans un château de l’est parisien, cet ensemble décoratif inspiré du monde marin serait le seul connu de l’artiste.

Vue du grand salon avec son lit de repos en corne de bovidé recouvert de loup, lampadaire... L’univers fantastique d’Erté
Vue du grand salon avec son lit de repos en corne de bovidé recouvert de loup, lampadaire et lustre en bois de cervidé et tests d’oursins, paire d’armoires en cuir clouté.

Extraordinaire, délirant, insolite… les adjectifs sont multiples pour qualifier ce décor. Près de trois cents lots sont inscrits au catalogue : des services de verre, des coupes et des présentoirs en cristal taillé, des bassins et des rafraîchissoirs en argent, des arbres miniatures en pierre dure, une table à plateau de marbres polychromes et au piétement formé de chapiteaux d’époque romaine. Jusque-là, rien de que très classique. Les estimations oscillent de 150 à 30 000 €. Plus disputées toutefois, deux cheminées d’époque Renaissance, en pierre calcaire, en imposent par leur répertoire décoratif et par leurs dimensions. La vedette, estimée 200 000/300 000 €, est sculptée de bustes, vases en arabesque, frises de rinceaux, colonnettes, d’une scène de chasse au lion et d’un choc de cavalerie. Elle proviendrait du château bourguignon d’Arnay-le-Duc et porte les armes de son commanditaire, Charles Merlan de Beaumont, puissant receveur des finances sous François Ier. Nul ne sait quand la cheminée a quitté l’Auxois pour la région parisienne : vendue comme bien national sous la Révolution, la demeure est passée de mains en mains au XIXe siècle, a été vidée de ses collections et de son décor pour devenir, en 1865, une fabrique de limes…
 

Fauteuil d’une suite de trois à décor d’os et d’ivoire sculpté et gravé, garni de fourrure d’ours et de phoque, 113 x 65 x 62 cm. Estimati
Fauteuil d’une suite de trois à décor d’os et d’ivoire sculpté et gravé, garni de fourrure d’ours et de phoque, 113 65 62 cm.
Estimation : 25 000/30 000 


Coquillages et crustacés
Plus surprenant toutefois est le décor du vestibule et du grand salon du château de Servon. À la sortie de ce village, bien caché au fond d’un grand parc, ce bâtiment reconstruit en 1852 évoque une demeure de conte de fées. Ce n’est plus un pied galbé de style Louis XV qui soutient un fauteuil, mais une corne de bovidé ; une peau de phoque, ou d’ours ou de loup, habille assise et dossier plutôt qu’une tapisserie au petit point, et des milliers de coquillages recouvrent le corps d’une horloge, l’entourage d’un miroir, les vantaux d’une commode… À l’exception d’un meuble réalisé par Janine Janet (1913-2000), créatrice de décors oniriques pour les vitrines de Balenciaga, Givenchy ou Dior, pour Ludmila Tcherina, le prince Ali Khan ou pour Le Testament d’Orphée de Jean Cocteau en 1959, on ignore le nom des ateliers qui réalisèrent meubles et objets. Une certitude : l’idée en revient à Erté. «La demande d’une cliente qui souhaitait installer une fontaine dans son château, près de Paris, me donna l’occasion de concevoir la décoration de toute une pièce sur un thème aquatique. Je décidai donc que les coquillages seraient le meilleur choix pour traduire mon intérêt dans ce projet et mon amour de la mer, des crustacés et autres fruits de mer», explique-t-il. Erté, Romain de Tirtoff (1892-1990) de son vrai nom, fils d’un amiral russe né à Saint-Pétersbourg, est promis à une carrière d’officier dans la Marine. Fasciné dès l’enfance par les revues de mode russes et françaises de sa mère, il suit les cours de l’académie de sa ville natale et ceux du peintre Ilia Répine. En 1912, muni du passeport dont son père lui a fait cadeau, il débarque à Paris. Embauché chez le couturier Paul Poiret après un mois passé dans une maison de la rue Royale où on lui a suggéré de faire «n’importe quoi, sauf du dessin», il fait merveille, notamment avec une tunique en forme d’abat-jour portée par Mata Hari dans la pièce de Jean Richepin Le Minaret (1913). Pendant vingt ans, il dessinera robes, bijoux et couvertures du magazine américain Harper’s Bazaar.

 

Création Erté, réalisation Janine Janet. Ensemble décoratif comprenant panneau d’appui, lampes en corail, cache-radiateur en coquillages,
Création Erté, réalisation Janine Janet. Ensemble décoratif comprenant panneau d’appui, lampes en corail, cache-radiateur en coquillages, marbre, étoile de mer.
Estimation : 1 200/1 500 


Une imagination débordante
Erté a imaginé des peignes-colliers, des lunettes-libellules, des sacs en forme de masque, a habillé de plumes Mistinguett, mais aussi Zizi Jeanmaire, Cécile Sorel, signé costumes et décors exotiques pour le cabaret l’Alhambra, le Bal Tabarin de Montmartre, les Folies-Bergère. Au lendemain de la guerre, il se tourne vers l’opéra. «J’ai toujours eu horreur de faire partie du troupeau», racontait cet infatigable travailleur. Preuve en est encore ce décor réalisé dans les années 1970. «Le foisonnement intellectuel et artistique d’Erté s’exprime sans contrôle. C’est extraordinaire, au sens littéral du terme», s’enthousiasme l’expert de la vente, Simon Étienne. La commanditaire, Hélène Martini (1924-2017) lui a laissé carte blanche… Née en Pologne d’un père français et d’une mère russe, Hélène de Creyssac débute comme mannequin aux Folies-Bergère. Pas pour longtemps. Ayant gagné trois millions à la loterie, elle arrête de travailler, s’offre livres et vêtements. Avec son mari, l’avocat d’origine syrienne Nachat Martini, elle achète des cabarets à Pigalle. Après le décès de ce dernier, en 1960, Hélène Martini étend son empire. Elle possèdera jusqu’à dix-sept clubs, théâtres et salles de spectacle à Paris, Genève et Las Vegas. En 2011, «l’impératrice de la nuit» cède les Folies Bergère au groupe Lagardère et au producteur Jean-Marc Dumontet. Aujourd’hui, ses héritiers se séparent du château et de son contenu. Les objets sont estimés d’une centaine à 30 000 €, mais ils devraient être disputés au-delà par des amateurs russes, américains, français, allemands… La seconde dispersion, plus classique, se tiendra le 13 novembre. Patience, patience, tout arrive.

 

Lampe (d’une paire), à trois lumières à figure de sirène en coquillages et concrétion, h. 62 cm. Estimation : 800/1 200 €
Lampe (d’une paire), à trois lumières à figure de sirène en coquillages et concrétion, h. 62 cm.
Estimation : 800/1 200 
mercredi 06 novembre 2019 - 14:00 (CET) -
Salle 10-16 - Hôtel Drouot - 75009 Paris
Kohn Marc-Arthur