L'essentiel : Figure majeure de l’art figuratif d’après-guerre, Bernard Buffet bénéficiait en son temps d’une réputation égale à celle de Picasso. Paysages, natures mortes, portraits (et surtout autoportraits), le peintre se sera essayé à tous les sujets dans un style facilement reconnaissable fait de hachures et de lignes droites structurant l’espace. Milliardaire et dépensier, celui qui fut l’amant de Pierre Bergé se noie dans l’alcool. Il s’est toujours refusé à embrasser le courant de l’abstraction porté à l'époque par Pierre Soulages ou Georges Mathieu. D’abord adulé, l’artiste, qui continue à peindre dans une veine expressionniste et misérabiliste, déplaît à l’élite artistique. Il est ardemment collectionné à l’étranger, notamment en Russie et au Japon, mais reste marginalisé en France malgré le soutien de personnalités tels Jean Cocteau ou Louis Aragon. Malgré son élection à l’Académie des beaux-arts en 1974 et sa promotion au grade d’officier de la légion d’honneur en 1993, Buffet reste oublié des institutions françaises. S’isolant de plus en plus, atteint de la maladie de parkinson, il met fin à ses jours par asphyxie en 1999, dans une quasi-indifférence. Il laisse plus de 8 000 œuvres : peintures, dessins, aquarelles et lithographies, que l’on retrouve régulièrement en salle des ventes.
Une phrase : « Eh bien moi, je suis le petit pavillon de banlieue de la peinture moderne »
Des débuts fulgurants
Bernard Buffet voit le jour en juillet 1928, dans le 9e arrondissement de Paris. Élevé dans une famille cultivée de la petite bourgeoisie – son père dirige une entreprise de miroiterie –, il est initié à l’art par l’un de ses grands-pères, un militaire passionné par le dessin. Quittant le lycée Carnot en 1939, il suit un cours du soir de la Ville de Paris en 1942. Trois ans plus tard, âgé de 15 ans à peine, il est admis sur concours à l’école des beaux-arts de Paris. Il n’y restera que deux ans avant de décider à faire cavalier seul.
Son style commence à s’affirmer, malgré la mort de sa mère qui le marque durablement. Si ses premières œuvres s’inspirent du style des maîtres comme Courbet ou Chardin qu’il voit au Louvre, ses toiles donnent déjà à voir un graphisme anguleux et singulièrement dépourvu d’ombres et de profondeur. Les tonalités sourdes qu’il emploie – conséquence d’une pénurie de couleurs – confèrent à ses peintures un semblant de dépouillement qui fait son succès. En 1946, il participe au « Salon des moins de trente ans » où il présente un autoportrait. Buffet a les honneurs d’une première exposition personnelle à la librairie des impressions d’art en décembre 1947. L’État lui achète son Coq mort à destination du musée national d’art moderne de Paris (aujourd'hui en dépôt au musée Cantini de Marseille, dépôt du CNAP). Ce premier coup d’éclat augure le succès à venir. Il remporte en juin 1948 la première édition du prix de la Critique, tout juste créé par Augustin Rumeau de la galerie Saint-Placide, ex-aequo avec le peintre et graveur Bernard Lorjou. Le mois suivant, il expose au Salon d’automne et y fait la connaissance de l'artiste André Minaux, et expose à ses côtés au sein du groupe du Second Manifeste de l’homme témoin, qui prône un retour au réalisme, à la galerie Claude.
Un chiffre8 000
C'est le nombre d'oeuvres que Bernard Buffet a laissé après sa mort
De Pierre Bergé à Annabel Schwob
Buffet se marie une première fois et divorce au bout d’un an. Il fait ensuite la connaissance en 1950 de l’homme d’affaires et mécène Pierre Bergé, avec lequel il noue une relation passionnelle et mène grand train. Il reçoit en 1952 le prix Antral de la Ville de Paris, doté de 100 000 francs ; Buffet devient une vraie célébrité que tout le monde s’arrache : il fait régulièrement la une de grands journaux français (Paris Match) ou étrangers (The Times, Newsweek). L’artiste connaît une nouvelle consécration en 1955, quand les lecteurs du magazine Connaissance des Arts lui offrent la première place du référendum désignant les dix meilleurs peintres de l’après-guerre. Il y devance d’autres grandes figures comme Alfred Manessier ou Nicolas de Staël.
À contre-courant des tendances artistiques de son temps, il publie en 1954 dans Les Lettres françaises, un manifeste intitulé La Leçon de Jean-Antoine Gros, qui prône une nouvelle peinture d’histoire. Le choix de Jeanne d’Arc comme thème de son exposition annuelle à la galerie David et Garnier en février 1958 s’inscrit dans cette veine. Un mois plus tôt avait lieu sa première grande rétrospective à la galerie Charpentier, au 76, rue du Faubourg-Saint-Honoré. En mai de cette même année, il fait connaissance par l'intermédiaire du photographe Luc Fournol de la comédienne et danseuse Annabel Schwob de Lure (1928-2005). Il quitte Pierre Bergé pour l’épouser en décembre. Dès lors, son style pictural s’épanouit et gagne en coloris. Artiste résolument figuratif – son ami Cocteau compare son œuvre à une « douleur peinte avec joie » –, Buffet est aimé du public et méprisé par l’intelligentsia, qui ne trouve pas son art assez intellectuel et lui reproche de peindre en série.
Un musée à son nom au Japon
Dans l’idée de décorer la chapelle de son domaine « Château-l’Arc » (sis à Fuveau, près d’Aix-en-Provence), acheté en 1956, il réalise en 1961 un ensemble de toiles sur La vie du Christ, qu’il expose à la galerie David et Garnier l’année suivante. Le cycle sera offert en 1972 aux musées du Vatican, à la demande de Mgr Pasquale Macchi, secrétaire du pape Paul VI. Le magazine allemand Stern le sollicite en décembre 1964 pour illustrer sa couverture d’un portrait de Mao Zedong. Buffet continue d’exposer à travers le monde : États-Unis, Japon, Suisse… Il répond aussi à des commandes publiques pour des décors d’opéra.
Les années 1970 sont significatives pour le peintre. Le musée Bernard Buffet est inauguré le 25 novembre 1973 à Surugadaira au Japon. Il présente la collection de Kiichiro Okano (1917-1995). Le banquier a découvert Buffet en 1963 à la faveur d’une rétrospective à Tokyo et demeurera l’un de ses plus fervents collectionneurs. Nourrissant des craintes quant à la réception de son œuvre, Buffet ne fait pas le déplacement et se fait représenter par Annabel. Le 13 mars 1974, l'artiste est élu à l’Académie des beaux-arts au fauteuil de Paul Jouve. C'est Paul Belmondo qui lui dessine son épée. En 1978, par suite de la commande d'un timbre figurant « L’Institut et le Pont des Arts », le musée de la Poste lui dédie une exposition rétrospective de ses œuvres, à Paris.
Il se rend finalement au Japon en 1981 pour visiter le musée qui lui est dédié. Séduit par sa civilisation moderne et le raffinement de ses traditions, le pays est choisi comme thème de son exposition annuelle à la galerie Maurice Garnier.
Les grandes rétrospectives
En 1986, Buffet fait l’acquisition du domaine de la Baume près de Tourtour, dans le Haut-Var. En octobre paraissent les deux premiers volets de sa monographie compilée par Yann le Pichon. L’année suivante, une exposition est organisée au musée Odakyu de Tokyo, puis dans plusieurs autres villes du Japon. Le grand succès de cette tournée nipponne est toutefois terni par le décès de son père, Charles Buffet. Le musée de Surugadaira s’agrandit avec une nouvelle extension inaugurée en 1988 en présence du peintre.
La dernière décennie de sa vie, bien que riche sur le plan artistique, est assombrie par la maladie. L’administration du territoire des Terres australes et antarctiques françaises lui passe commande en 1991 d’une maquette pour un timbre d’une valeur de 25,70 francs. La même année, il a les honneurs d’une rétrospective d’envergure à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg et au musée Pouchkine de Moscou. En Corée, le musée Hyundai de Séoul organise également une exposition de son œuvre. Il est promu au grade d’officier de la Légion d’honneur en 1993. Buffet visite Pékin en 1995, qui lui inspirera une exposition l’année suivante.
1997 est un tournant pour l’artiste, auquel on diagnostique la maladie de parkinson. Il continue de travailler malgré tout et réalise l’affiche du spectacle de Charles Aznavour au Palais des Congrès. Les symptômes empirent. « Je ne suis vraiment heureux que lorsque je peins », confiait-il une décennie plus tôt, en 1992, dans une interview au Figaro. Dans l’incapacité de continuer à exercer son art, Bernard Buffet met fin à ses jours le 4 octobre 1999, à l’âge de 71 ans.
