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Lot n° 30

Jean TERZIEFF (1894-1978) Les Trois Grâces, 1936-38 Panneau...

Estimate :
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Jean TERZIEFF (1894-1978) Les Trois Grâces, 1936-38 Panneau décoratif en haut-relief. Plâtre patiné façon terre cuite ; le fond traité or. Signé Jean TERZIEFF, en verticale sur la partie droite vers le bas. 151 x 183 cm Petits éclats épars. Expert : Emmanuel Eyraud Sculpteur d’origine roumaine par sa mère et russe par son père, Jean Terzieff arriva en France en 1919, où il s’établira et exercera son métier1. Entré à l’École des Beaux-Arts de Bucarest, sa ville natale, dès l’âge de 15 ans, il perfectionnera son savoir-faire dans l’atelier d’Antoine Bourdelle (1861-1929), dont il deviendra l’élève à son arrivée à Paris. Il fréquenta alors le milieu artistique du Montparnasse et fut proche d’artistes comme Ossip Zadkine (1888-1967) et Constantin Brancusi (1876-1957), son compatriote. Par la suite, il recevra plusieurs commandes d’État, participera à de nombreux salons et expositions dont il sortira lauréat, et commencera également à transmettre son art de la taille à ses élèves. En 1963, la galerie Bernheim-Jeune lui consacrera une exposition personnelle. Son œuvre, constitué de nombreux nus féminins, de quelques groupes sculptés et de figures d’athlètes, est dédié à l’étude du corps humain, qu’il s’attache à traiter de manière solaire et lumineuse. Bousculé par les évènements traumatiques de la Première Guerre Mondiale, cette quête ne se fera toutefois pas sans lutte, et son parcours artistique relatera de sa persévérance à replacer l’homme lui-même dans un certain espoir. Parmi ses premières œuvres importantes figure un ensemble de trois bas-reliefs monumentaux qui forment une trilogie narrative et plastique condensant son univers créatif. Créés entre 1936 et 1938, sa Maternité, ses Trois Grâces et son Âge d’Or, évoquent des thèmes célèbres de la mythologie, qu’il utilise comme vecteurs d’un message de paix résonnant dans le contexte historique de leur création. Abordant un thème mythologique cher aux peintres et aux sculpteurs depuis l’Antiquité, particulièrement célébré à la Renaissance, le bas-relief des Trois Grâces de Jean Terzieff montre sans surprise les trois figures féminines composant ce célèbre groupe. Dans la mythologie gréco-romaine, les Trois Grâces caractérisaient cette « trinité » indivisible composée de trois sœurs, communément identifiées comme Aglaé, Euphrostyne et Thalie, ou aux filles de Zeus (Jupiter), assimilées aux Charités grecques. Dans leurs représentations antiques, elles furent d’abord figurées vêtues, puis nues ou couvertes d’un voile transparent, certainement dans une logique d’imitation des représentations d’Aphrodite2. Aussi, le bas-relief présenté ici montre ce groupe ternaire de nus féminins qui incarneraient la beauté, la séduction et la fécondité. Mais, figurée au centre de la composition, la pomme dorée présentée par un personnage masculin allongé au premier plan interroge. Comme sur le tableau de Raphaël traitant ce thème, la présence d’une pomme d’or – ou en l’occurrence de sphères dorées chez le peintre florentin – fait une allusion directe au mythe des Hespérides. Ces trois nymphes, filles d’Érèbe et de la Nuit, dédièrent leur vie à la surveillance du jardin où poussaient les pommes d’or, offertes à Héra à l’occasion de ses noces avec Zeus, qu’Eurysthée ordonna à Héraclès (Hercule) de dérober. Ainsi, notre bas-relief pourrait également faire référence à ce mythe, onzième étape des douze travaux d’Hercule. Par ailleurs, la pomme dorée elle-même renvoie au mythe du Jugement de Pâris, autre thème de la mythologie gréco-romaine abondamment traité dans l’histoire de l’art. Ce mythe raconte l’épisode qui préfigura la guerre de Troie, dans lequel le prince troyen Pâris offrit à Aphrodite une pomme portant la mention « pour la plus belle », qu’elle se disputait avec les déesses Athéna et Héra. Offrant la pomme à la déesse de l’Amour, Pâris se vit en échange récompensé de l’amour de la plus belle femme du monde, Hélène – évènement qui provoqua son enlèvement et l’illustre guerre qui en suivit. La pomme dorée incarne ainsi la « pomme de la discorde », présent d’Éris, qui provoqua une rivalité entre les trois déesses, laquelle déboucha sur le légendaire conflit de la mythologie grecque. Dans le langage, l’expression incarnera alors l’idée d’un petit désaccord qui prend de très grandes proportions. Fortement impacté par les conflits du siècle dernier, Jean Terzieff pourrait avoir utilisé ces thèmes mythologiques pour aborder les évènements de la guerre – faisant de la pomme de la discorde menant à la guerre de Troie un synonyme de la situation en Europe à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale. Créée à la même période, sa Femme aux Pommes, médaille d’or de l’Exposition Universelle de 1937, mettra en avant le même symbole, chargé lui aussi des significations de la situation géopolitique contemporaine à sa création. Cette sculpture, propriété du Sénat, trône au sein du jardin du Luxembourg et reste l’œuvre la plus célèbre du sculpteur.