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Lot n° 2

Régine Deforges (1935 – 2014) L’Orage (extrait) Manuscrit...

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Non Communiqué
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Régine Deforges (1935 – 2014) L’Orage (extrait) Manuscrit incomplet de l’Orage, de nombreuses feuilles de la main de l’auteur, certaines pages dactylographiées. À l’occasion de la sortie en livre de poche de L’Orage, voici ce que ma mère écrivait sur son texte : « C’est un été, à Ars-en-Ré, que j’ai eu l’idée d’écrire L’Orage, un court roman racontant l’amour fou d’une femme pour son amant disparu. Je voulais dire la douleur de l’absence, les nuits solitaires, le corps affamé de caresses, le ciel devenu noir, le monde devenu vide, les hurlements de bête face à son amour mort, cette souffrance qui broie le cœur… » C’est alors, m’avouera-t-elle plus tard, qu’elle s’était trouvée emportée par son personnage de Marie et qu’elle savait que ce serait un récit érotique. Mais ce qu’elle ne mesurait pas en écrivant ce roman, c’est qu’il allait s’inscrire dans la liste de ces textes essentiels à un genre littéraire, au même titre que ceux de Sade, Apollinaire, Bataille ou encore Mandiargues… Pourtant, comme elle l’écrit dans sa préface : « Quand j’en parlai autour de moi, ce qui chez moi est inhabituel : tous me déconseillèrent de me lancer dans cette aventure qui pouvait nuire à mon image, disaient-ils… Bien entendu, je n’en tins pas compte et me mis à raconter ce qu’était la vie de mon personnage, Marie, depuis le décès de l’homme qu’elle aimait : ses visites quotidiennes au cimetière, sa colère, son refus d’accepter cette mort, ses masturbations sur la tombe de l’être cher, ses seins douloureux, sa jouissance, ses gémissements dont était témoin le fossoyeur, Lulu, un pauvre idiot, doté d’un membre impressionnant qu’il branlait en regardant la jeune veuve. » Dans ce texte, l’écriture sauvage, presque animale de Régine Deforges, s’exprime dans toute sa force et sa puissance. On ne sort pas indemne de la lecture de L’Orage. Pour preuve, ce livre déchiré que m’a renvoyé un libraire, outré que « l’on puisse publier de telles saloperies ». Sans doute, Régine Deforges, forte de sa notoriété et de son statut, a voulu se lancer un défi d’écriture comme elle le confessera : « Ce travail m’a surpris par ce qu’il me révélait de moi-même et par le trouble dans lequel j’étais quand j’abandonnais ma table de travail… Cette année-là je ne vis rien des plages, des marais, du ciel changeant de l’île de Ré. Mes amis, ma famille me trouvaient lointaine, absente ; c’était vrai. J’étais loin du soleil et des plaisirs des vacances ; la lumière blessait mes yeux et les cris joyeux des enfants m’étaient insupportables. Je n’avais d’autre désir que de rejoindre Marie, de la regarder jouir et souffrir avec une délectation de voyeur qui me mettait des cernes sous les yeux. » Et une fois le texte achevé, ma mère fut prise d’une grande mélancolie et de doutes : avait-elle peur des réactions ? Honte de ce qu’elle avait écrit ? Crainte de s’être trop dévoilée ? D’avoir été trop loin dans les descriptions érotiques ? De subir, à défaut de critique, des regards lourds de reproches ? Je fus le premier à qui elle le fit lire. Peut-être parce que j’étais son fils ? Par notre goût commun pour la littérature érotique ? Parce que j’étais éditeur grâce à elle ? Elle me dira plus tard qu’elle pensait que je ne la jugerai pas, autrement que sur des critères littéraires et éditoriaux. Et en cela elle avait mille fois raisons, elle m’avait transmis ce goût intransigeant pour la liberté d’écrire, pour la liberté tout court. Ce roman m’a bouleversé et j’y ai vu toute la force de l’écriture érotique lorsque celle-ci est portée par l’incandescence du désir, et ici renforcée par l’intolérable absence de l’être aimé. Si pour moi, il y a un roman de l’amour fou, c’est bien de L’Orage qu’il s’agit. Mais une fois ma lecture achevée, j’ai pensé moi aussi à l’image : « Comment allait réagir son public, celui de La Bicyclette bleue ? » Quand je lui ai fait part de mes craintes, elle s’est moqué de moi de son « Pffutt » caractéristique en ajoutant : « Je m’en fous ! Mon livre te plaît ou non ? » Pour ma mère ce livre tenait une place à part. Il était le reflet de la passion qui l’animait et dont elle avait besoin pour exister. Nous étions en 1996, le livre a connu un très grand succès (plus de 100.000 exemplaires vendus, des dizaines de traductions) malgré sa fureur et son incandescence. Le monde, depuis, a bien changé et je mesure le courage inouï qu’elle a eu en allant défendre cette histoire d’amour éperdu sur les plateaux télé et les radios. Une fois de plus, j’étais bluffé par elle. Ce texte, j’en suis sûr, bien au-delà du genre érotique, sera considéré plus tard comme un texte essentiel de l’œuvre de Régine Deforges, elle qui aimait citer la phrase de Bataille à propos des romans : « Seuls les romans qui s’intéressent au mal sont passionnants. » Franck Spengler

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