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Lot n° 47

BATAILLE (Georges). Lettre autographe signée à...

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BATAILLE (Georges). Lettre autographe signée à un homme de lettres. Orléans, 30 avril 1962. 7 pp. in-8, sur 4 ff. à en-tête de la bibliothèque de la ville d'Orléans. « ... Inutile de dire que votre projet m'intéresse beaucoup. La réserve que je ferai semble avoir beaucoup d'importance : J'AI ÉTUDIÉ "SÉRIEUSEMENT" (IL Y A BIEN LONGTEMPS) LA LITTÉRATURE DU MOYEN ÂGE, en particulier l'allégorique, mais, certainement, je n'y ai jamais vu rien qui justifie à mes yeux votre rapprochement. Vous avez cependant raison de dire que la différence tient à la référence à Dieu, d'un côté, à l'impossibilité de cette référence de l'autre. Mais cela ne signifie-t-il pas que, dans le premier cas, LA LITTÉRATURE PROFANE a lieu en marge et ne constitue qu'un domaine frivole et insignifiant. SES ALLÉGORIES NE SONT-ELLES PAS REPRISES À PARTIR DE LA LITTÉRATURE RELIGIEUSE ? En particulier, autant que je me rappelle, des sermons. Tous ces thèmes allégoriques doivent se retrouver dans les recueils d'exempla qui servaient aux prédicateurs. Il n'y a peut-être dans des histoires comme le Roman de la Rose qu'un développement de thèmes mis au goût d'une certaine classe de la société : les hommes de cette classe n'allaient au bout de rien ou se convertissaient. À mon avis, si l'on excepte des reflets apparaissant rarement dans les romans de la Table ronde (sans parler des emprunts, dans ces derniers, à la littérature cléricale), il n'y a de vie littéraire qui compte que dans la mesure où, n'étant pas religieuse, elle implique l'insuffisance d'un monde ayant LIVRES & AUTOGRAPHES 61JEUDI 29 AVRIL 2021sa totalité en dehors du cadre religieux. Pour moi, LES QUELQUES LIVRES DONT VOUS PARLEZ (mais je ne connais ni [Dino] BUZZATTI, ni [Hermann] KASACK, ni [ Jorge-Luis] BORGES, d'autre part, il me semble que Blanchot aurait sa place dans le cycle que vous alléguez) SUPPOSENT LA DISPOSITION DANS L'ESPRIT DE CEUX QUI LES ÉCRIVIRENT D'UN MONDE RELIGIEUX AU-DESSUS DE LA POSSIBILITÉ JOUÉE DANS LA LITTÉRATURE. AUSSI BIEN ME SEMBLENT-ILS BEAUCOUP PLUS PROCHES DE CEUX DE PROUST OU DE JOYCE QUE DE CEUX DU MOYEN-ÂGE. Mais je vous accorde que cette réserve est moins grave qu'il ne semble d'abord. En tout cas, ce que vous dites p. 2 (le flux de l'éternité etc.) a tout son sens par rapport à la littérature d'Église du Moyen Âge, dont l'influence sur la littérature profane est au moins depuis une trentaine d'années l'objet d'études d'une certaine ampleur (mais souvent arides). Excusez-moi de ce que cette entrée en matières peut avoir d'un peu pessimiste. Je voudrais maintenant vous faire des propositions précises. La première se justifie à mes yeux du fait que nous n'avons pas parlé du RIVAGE DES SYRTES (POUR LEQUEL J'AI VRAIMENT DE L'ADMIRATION). Ne pourriez-vous nous donner d'abord une étude sur ce livre où vous développeriez votre thèse ? (Vous pourriez ensuite consacrer à ces livres que je ne connais pas soit une autre étude, soit plusieurs...) Je ne vois pas que cela puisse vous gêner sérieusement et la forme de Critique étant donnée, je ne vois pas d'autre moyen : une étude trop générale ne nous dispenserait pas, en effet, de parler de Gracq. J'ai d'ailleurs l'impression que vous devriez aboutir à un livre entier, où se retrouverait au premier plan le caractère général de votre pensée... J'ajouterai qu'à mon sens le rôle de Critique est bien de rendre possible des études allant dans le sens de la vôtre, à l'encontre d'une critique littéraire vague – et courte... » Lettre écrite quelques semaines avant sa mort (9 juillet 1962).

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