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Lot n° 10

CÉLINE (Louis-Ferdinand).

Result :
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Lettre autographe signée « Louis Destouches (L F Céline) », [adressée à Léon Daudet]. S.l., [mai 1936]. 8 pp. in-folio. UNE DE SES PLUS IMPORTANTES LETTRES SUR SON TRAVAIL LITTÉRAIRE. « Cher Maître, la critique (en général) fait preuve contre mon nouveau livre d'une partialité écœurante. IL S'AGIT DE ME FAIRE PAYER CHER LE SUCCÈS DU ""VOYAGE"" (acquis en grande partie grâce à vous !) TOUS LES MOYENS SONT BONS, ME FAIRE PASSER POUR UN RUSE, UN FARCEUR, UN MANIAQUE, ENFIN ET SURTOUT BIEN PLUS GRAVE POUR ENNUYEUX ! Rien n'y manque ! On ne me lit même pas. Le siège est fait ! Il s'agit de nuire le plus possible et de propos délibéré. Sans aucune élémentaire probité morale ou artistique. Évidemment tout ceci est classique. Dans un art quelconque, les ratés forment une proportion de 999/1000e. TOUT CE QUI N'EST PAS NETTEMENT RATE PROVOQUE UNE REVOLUTION, UN DÉLUGE DE HAINES. Bon. Mais il me peinerait beaucoup que ce mascaret bilieux vous empêchât au moins de me lire. JE ME SUIS TRES SINCEREMENT APPLIQUE A CET OUVRAGE [MORT A CRÉDIT], ÉNORMEMENT, À VRAI DIRE. J'y ai passé depuis quatre ans mes jours et mes nuits, en plus de ma misérable pratique au dispensaire (1500 francs par mois). Je ne suis pas riche, j'ai une fille et une mère à ma charge. Le Voyage m'a rapporté environ 1200 francs de rente mensuels. Je situe tous ces chiffres parce qu'ils disent bien les choses telles qu'elles sont. SUR "MORT A CRÉDIT" JE ME SUIS CREVÉ LITTÉRALEMENT. Je l'ai fait le mieux que j'ai pu. Si ceux qui se permettent si lâchement, si impunément de me ""piloriser"" possédaient le vingtième de ma probité et de mon application, le monde deviendrait aussitôt un édénique séjour, et j'avoue alors que ma littérature deviendrait injuste. Mais nous n'en sommes pas là ! ON ME FAIT AUSSI, PROFONDEMENT, JE CROIS, LE GRIEF DE ROMPRE AVEC TOUTES LES FORMES ACADÉMIQUES, CLASSIQUES, CONSACREES, J'ÉCRIS DANS UNE SORTE DE PROSE PARLEE, TRANSPOSEE. Je trouve cette manière plus vivante. Ai-je le droit ? Cette forme a ses règles, ses lois, terrible aussi. Vous le savez bien. Que d'autres essayent. Ils verront. J'AI EFFACÉ MON TRAVAIL DERRIÈRE MOI, MAIS IL EXISTE. AUTRE CHOSE, ON ME REPROCHE AUSSI DE N'ÊTRE POINT LATIN, CLASSIQUE, MERIDIONAL (caractères bien définis... élégance... mesure... joliesse... etc...) Je suis très capable d'apprécier les diverses beautés du genre, mais bien incapable de m'y soumettre !... JE NE SUIS PAS MERIDIONAL. JE SUIS PARISIEN, BRETON ET FLAMAND DE DESCENDANCE. J'ÉCRIS COMME JE SENS. ON ME REPROCHE D'ETRE ORDURIER, DE PARLER VERT. IL FAUT ALORS REPROCHER CECI À RABELAIS, À VILLON, À BRUGHEL, À TANT D'AUTRES. Tout ne vient pas de la Renaissance. ON ME REPROCHE LA CRUAUTÉ, SYSTEMATIQUE. QUE LE MONDE CHANGE D'AME, JE CHANGERAI DE FORME. D'où me viennent tous ces puristes soudains ? Je ne les vois pas s'élever contre les films de gangsters ! contre ""Détective"", contre tant de pornographies qui sont elles sans excuses. C'est que ces puristes sont aussi des lâches. Ils ne risquent rien, surtout anonymement, à vider leur petit fiel contre un auteur solitaire, ils risquent trop contre les formidables intérêts du film ou d'Hachette. Lèches-bottes d'un côté ou farouches défenseurs moraux, selon l'intérêt du bifteak. SONT-ILS JALOUX DE MON EXPÉRIENCE VIVANTE ? Évidemment, je n'ai jamais été au lycée. J'ai fait mes bachots, ma médecine, tout en gagnant ma vie. On apprend beaucoup par ce moyen. C'est peut-être ce qu'on me pardonnerait le moins facilement. ENFIN, JE SUIS MEDECIN. ON HAIT LES MÉDECINS, LEUR EXPERIENCE AUSSI. En écrivant les livres du genre que vous savez, je risque beaucoup, d'être éliminé de partout, de perdre mes emplois. JE NE FAIS PAS DE LA LITTÉRATURE DE REPOS. ENFIN ON ME REPROCHE CE QU'ON APPELLE LA CONFUSION. L'AUTRE NE ME TROUVE PAS VRAISEMBLABLE ! J'ÉCRIS DANS LA FORMULE RÊVE ÉVEILLÉ. C'est une formule nordique. Ah ! comme je serais heureux que vous me réserviez un article, non pour me louer (cette demande ne serait digne ni de vous ni de moi) mais pour définir clairement comme vous seul pouvez le faire, avec votre immense autorité, ce qui existe et ce qui n'existe pas de mon livre... » LE RECOURS A LA NOTION DE « RÊVE ÉVEILLÉ » MARQUE LA SÉPARATION DE CÉLINE AVEC LE FREUDISME. L'œuvre de Freud l'avait profondément occupé quand il écrivait Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, mais il subit peu après une importante évolution idéologique : il rejeta Freud tout en conservant un temps la notion de « rêve éveillé » telle que Léon Daudet l'avait formulée dans un ouvrage de ce titre en 1926 : Céline trouva là « une caution qui lui perm[i]t de continuer à valoriser une vie psychique en marge de la conscience, un ""délire"", sans avoir à se référer à Freud, mieux : en l'attaquant » (Henri Godard, Céline, Romans, vol. I, p. 1390). Lettres, n° 36-29. – Romans, vol. I, 2012 (1981), pp. 112

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