Lauréat du prix du SNA 2020, ce livre est une prouesse éditoriale appelée à devenir une publication de référence. À l’intérieur du beau coffret, un leporello se déploie sur 32,10 mètres, soit 46 % du format de la broderie de 70 mètres de long, qui n’avait jusqu’à présent jamais été reproduite de la sorte : la qualité des images est tout simplement remarquable. Le coffret renferme aussi un ouvrage où l’historien de l’art français Xavier Barral i Altet et l’historien anglais David Bates, spécialiste des histoires sociales et culturelles de la France et de la Grande-Bretagne aux Xe, XIe et XIIe siècles, entrecroisent leurs recherches sur ce monument du patrimoine mondial qui divise encore les deux écoles, même si les avancées récentes de la recherche et les échanges érudits entre spécialistes se multiplient. Pour Xavier Barral i Altet, la broderie pourrait être née du vœu d’Adèle de Blois, fille de Guillaume le Conquérant et mère du roi Étienne d’Angleterre, pour honorer son père « dans le cadre d’un mouvement de réappropriation de la mémoire et des gestes du Conquérant », probablement autour de 1120-1122, avant qu’Adèle ne se retire au prieuré de la Sainte-Trinité de Marcigny-lès-Nonnains. Si l’historien de l’art français insiste pour bien distinguer le contexte culturel de conception de celui de la création, les arguments souvent mis en avant depuis les années 1950 – et repris par son collègue –, qui pencheraient en faveur d’une confection à Cantorbéry, ne tiennent pas. Or, pour David Bates, la broderie – qu’il considère plus ancienne et dont le projet aurait été orchestré par l’évêque Odon, demi-frère de Guillaume – ne doit pas être vue comme une réalisation « anglaise » ou « normande » mais, au contraire, comme le fruit de réseaux tissés de part et d’autre de la Manche et d’influences étendues à toute l’Europe. Mais c’est bien à Cantorbéry où se firent jour justement les premiers efforts concertés pour élaborer le nouveau récit historique rendu nécessaire par l’issue de la bataille d’Hastings, que tout aurait été pensé. La richesse de ces débats savants est à la mesure de cette œuvre qui fascine toujours autant les spécialistes et le grand public. Un ouvrage néamoins réservé – autant par son prix que par son niveau d’érudition – à un public forcément restreint.