Dans un pays où le budget du ministère de la Culture avoisine tout juste les dix millions de dollars et qui est, pour l’essentiel, consacré aux fouilles archéologiques, il va sans dire que les initiatives privées sont les bienvenues. Si, à la Beyrouth Art Fair, les banques libanaises montrent la voie depuis la création de l’événement (2010), en soutenant les jeunes pousses et notamment la photographie, une kyrielle de collectionneurs privés s’impose, année après année, dans le paysage artistique régional. Les appartements et maisons des riches libanais sont immenses. Pourtant, ce qui étonne le plus en découvrant les stands des quarante-cinq galeries venues de vingt pays, c’est la quasi-absence d’œuvres monumentales. Ce signe du faible poids de la commande publique dans l’économie de l’art au Levant contraste significativement avec l’effervescence des projets muséaux portés par les puissants voisins du Golfe. Peu de sculptures également dans cette foire, où la peinture reste la discipline reine. Dans le carré «Revealing by SGBL», qui met en avant vingt-sept jeunes talents du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, la galerie parisienne Nikki Diana Marquardt présentait par exemple des petits formats d’Isabelle Manoukian, où le fantôme d’Alex Katz semble s’être mêlé à la miniature perse. Mais le pari le plus osé venait de la galerie algéroise Les Ateliers sauvages, qui proposait des photographies d’une performance d’Adel Bentounsi revisitant le rituel de la circoncision. Un choix qui tranche sans jeu de mots de la part de ce JR du Maghreb, portant lunettes noires et chapeau, au milieu d’une sélection trop souvent sujette aux comparaisons avec la peinture occidentale du XXe siècle. Un constat qui se vérifiait particulièrement dans l’espace consacré aux artistes femmes du Liban. Couvrant la période 1945-1975, on retrouve ainsi clairement l’influence de l’expressionnisme abstrait chez Cici Sursock ou celui de l’art cinétique chez Nadia Saïkali. En revanche, Huguette Caland est très certainement l’artiste libanaise qui a su le mieux s’émanciper de la tutelle des arts graphiques occidentaux, pour imposer une vision réellement inédite et tout à fait singulière. Il n’est guère étonnant que le Centre Pompidou l’ait récemment exhumée de ses réserves pour faire figurer l’une de ses grandes toiles dans l’exposition permanente du cinquième étage.
Une bulle d’oxygène en plein Moyen-Orient
Dirigée par l’influente Laure d’Hauteville, également à l’origine de l’Abu Dhabi Art Fair et de la Singapore Art Fair, la foire de Beyrouth peut compter sur le soutien actif d’importants collectionneurs privés. Les hommes d’affaires Basel Dalloul et Abraham Karabajakian, ainsi que l’avocat d’affaires Tarek Nahas (voir ci-contre), font en effet partie du comité de sélection. Soulignons d’ailleurs le caractère pionnier d’une programmation faisant la part belle aux femmes artistes dans un pays qui a toujours été l’un des plus fervents défenseurs des libertés individuelles. Si le centre-ville de Beyrouth, chrétien et ultra-sécurisé, affiche des airs de petit Paris, difficile d’oublier que le Liban compte pour voisins Israël et la Syrie, avec lesquels les tensions sont constantes. D’ailleurs, la capitale porte encore les stigmates des bombardements de 2006 et doit composer avec un afflux de réfugiés hautement préoccupant. Pour surmonter ce climat anxiogène, les collectionneurs beyrouthins, polyglottes et globe-trotters, cultivent la flamboyance. Amateurs de voitures de sport et de 4 x 4 rutilants dans une ville au trafic saturé, c’est en couple qu’ils déambulent dans les allées de la Beyrouth Art Fair. Ainsi, sur le stand de Marc Hachem, deux grands tableaux de Charbel Samuel Aoun, proposés à 17 000 € pièce, ont-ils fait l’objet d’une âpre négociation le soir du vernissage entre le galeriste et un couple d’acheteurs particulièrement déterminé.
Une foire pleine d’avenir
L’édition 2016 a permis aux amateurs d’acquérir des œuvres allant de 1 000 €, pour des gouaches sur carton d’Hassan Samad (Artspace Hamra, Beyrouth), à près de 300 000 € pour les grands tableaux de Jean-Paul Guiragossian (Emmagoss Art Gallery, Beyrouth). Des montants somme toute abordables pour une foire d’art contemporain, en comparaison avec les mastodontes de Bâle, Miami ou Paris, mais qui croissent d’année en année à en croire les organisateurs. Depuis 2010 en effet, la Beyrouth Art Fair a multiplié sa fréquentation par sept et son chiffre d’affaires par quatre, à périmètre quasi constant s’agissant du nombre d’exposants. Le prix d’un stand étant presque moitié moins cher qu’à la foire de Dubai et les galeries invitées dans le carré « Revealing by SGBL » n’ayant de surcroît pas à payer pour être présentes, il y a fort à parier que les exposants se bousculeront au portillon pour figurer au programme des prochaines éditions. D’ailleurs, forte de ces résultats plus qu’encourageants, Laure d’Hauteville annonce pour 2017 un événement parallèle entièrement dédié au design.