Jusqu’alors inconnu de tous les spécialistes, un ensemble d’une trentaine de pièces du célèbre créateur sera présenté prochainement à Arles. Une commande spéciale… et une vente d’exception.
Le concept est toujours à la mode. Les musées tentent de reconstituer des «period rooms» afin de permettre à leurs visiteurs de pénétrer dans l’univers d’une époque ou d’un artiste. C’est à une telle expérience immersive que la jeune commissaire-priseur Christelle Gouirand nous invite, à Arles le 3 octobre, avec la vente aux enchères d’une trentaine de pièces conçues par Eugène Printz pour un appartement parisien dans les années 1930 et 1940 : «Des meubles marquants visuellement, incomparables et intemporels», nous dit-elle. Si les créations de l’ébéniste atteignent aujourd’hui des millions d’euros aux enchères, ils étaient déjà alors réservés à des connaisseurs privilégiés, «qui pouvaient débourser, comme l’indique le catalogue de la galerie Printz en 1934, jusqu’à quarante mille francs pour un gros bahut orné des dinanderies de Dunand (environ 28 900 € en valeur réactualisée, ndlr), vingt mille pour un bureau et mille francs pour une chaise», précise l’experte en arts décoratifs du XXe siècle Amélie Marcilhac. En effet, Printz attira dès la fin des années 1920 une clientèle prestigieuse des quatre coins du monde, aristocrates à l’esprit précurseur ou membres de la bourgeoisie financière et industrielle. Aux côtés de Jeanne Lanvin, du maréchal Lyautey et de la princesse de la Tour d’Auvergne, pour ne citer qu’eux, se tenait alors Madame V. «Une femme sophistiquée, libre et d’esprit avant-gardiste auquel correspond parfaitement le mobilier créé par Eugène Printz», ajoute la commissaire-priseur. Cet ensemble, présenté intact – meubles, luminaires, mais aussi un grand miroir rectangulaire à entourage de laiton oxydé à l’acide (12 000/15 000 €), trois tringles à rideau à corps quadrangulaire en métal oxydé à l’éponge (2 000/3 000 €) –, Madame V. ne l’a jamais remplacé au fil des années. Elle gardait sa vaisselle dans la grande enfilade aux deux portes accordéon ornées de plaques de dinanderie de Jean Dunand (300 000/400 000 €) et ses couverts dans l’élégant et sobre argentier, rehaussé de joncs de laiton (80 000/100 000 €), qui trônait avec elle dans la salle à manger non loin de la table et des douze chaises en bois de palmier. Les aléas de la vie l’amenèrent à déménager à la mort de son compagnon dans un appartement parisien plus petit, puis chez sa fille, à Arles, où les meubles étaient demeurés.
Un ensemble personnalisé
L’histoire remonte donc au début des années 1930. Madame V., séparée de son premier mari, s’installe dans le 16e arrondissement avec Monsieur G., un important homme d’affaires. Le couple passe ses vacances dans le Loiret, où il découvre chez des amis plusieurs meubles signés Printz. Le coup de foudre est immédiat pour ces créations aux formes audacieuses et aux matériaux rares, affichant clairement la liberté d’esprit de leur auteur. Madame V. décide alors de se rendre à son magasin. Elle fera bien souvent le trajet entre son appartement et la galerie Printz, située au 81 de la rue de Miromesnil. Si un grand choix est déjà offert dans ce lieu, le créateur a adopté une démarche très moderne et commerciale avec ses clients, se déplaçant chez eux pour découvrir leur intérieur, mais aussi leur personnalité. Ainsi se rendra-t-il de nombreuses fois chez Madame V., à partir de 1935 environ et jusqu’à sa mort, afin de préparer des dessins et des maquettes qui serviront de devis à ses multiples propositions. Ces gouaches, présentées à la vente (1 200/2 000 €), prouvent encore, si besoin était, que Printz a su s’affirmer comme un grand ensemblier. La couleur rouge chamois du splendide bureau en bois laqué par Jean Dunand (voir En couverture de la Gazette n° 31, page 6) était ainsi au cœur de la décoration du bureau de Monsieur G., avec sa reprise pour les deux bibliothèques basses de chaque côté de la cheminée.
Un travail d’ébéniste
Outre leur esthétique singulière et inédite, les créations d’Eugène Printz présentent une ingéniosité tout aussi féconde, comme en témoigne un petit meuble d’appoint qui illustre un grand talent technique. En placage de noyer, à deux portes, il s’ouvre sur un intérieur à six tiroirs pivotant de part et d’autre d’un piétement en forme de sphère (20 000/30 000 €) : «À la différence des autres artistes de l’époque art déco, comme Marcel Coard et Jacques-Émile Ruhlmann, Eugène Printz est un véritable ébéniste, souligne Amélie Marcilhac. Il a appris le métier dans le faubourg Saint-Antoine au sein de l’atelier familial, qu’il a repris à 26 ans à peine et conservé durant toute sa vie.» Une formation qui lui a aussi transmis le goût des meubles à mécanismes chers à l’époque Louis XVI. Mais à côté des créations luxueuses, Printz a également fabriqué pour Madame V. du mobilier adapté aux usages plus intrépides, comme la paire de lits en acajou et cannage destinés aux petits-enfants (2 000/3 000 €). L’ensemblier savait aussi accorder une place centrale dans ses intérieurs à l’éclairage, toujours indirect afin de permettre une diffusion harmonieuse. C’est le cas du lampadaire en laque noire et bagues en laiton oxydé à l’éponge ici annoncé à 30 000/40 000 €, issu du modèle créé en 1937 qu’il n’abandonnera jamais.
De fructueuses collaborations
Si Eugène Printz se distinguait de ses contemporains par l’utilisation du palmier – bois d’un beau grain mais onéreux et très complexe à travailler au rabot pour des feuilles de placage d’une grande finesse –, son travail en séries limitées et son goût pour les formes massives contrastant avec la légèreté de piétements métalliques, il s’en démarquait plus encore par ses décors en dinanderie élaborés en collaboration avec Jean Dunand. Juste récompense, les meubles issus de ce travail à quatre mains sont aujourd’hui les plus prisés : plus de 5 M$ ont été enregistrés à New York le 4 juin 2019 pour un cabinet en palmier de deux mètres de longueur, ayant appartenu à Printz, puis à sa veuve. Son piétement est similaire à celui de l’enfilade présentée lors de cette vente (300 000/400 000 €), datée également vers 1937 et où l’on retrouve les plaques de dinanderie à décor géométrique. Celui-ci diffère, puisque le laqueur, travaillant sur commande, réalisait à la main dans son atelier des ouvrages toujours uniques. Amélie Marcilhac estime que «la collaboration entre ces deux artistes est particulièrement recherchée car elle est sur mesure, ce qui n’est pas si courant. Ce sont des œuvres de concert où les artistes ont réussi à créer quelque chose qui dépasse leur propre style personnel»… Un principe élargi à un troisième nom pour le charmant secrétaire arborant en façade huit plaques de dinanderie de Dunand à motifs de volatiles et canards, à l’intérieur en sycomore typique de Printz avec un jeu de tiroirs, d’étagères, mais aussi d’abattants ornés de petits animaux batifolant dans les herbes… réalisés d’après des dessins de Jean Lambert-Rucki. Ultime collaboration, celle avec l’émailleur Jean Serrière : elle donna naissance à des décors inspirés notamment de l’Antiquité, à l'image des Baigneuses ornant les plaques en émail d’un meuble d’appui exposé au Salon des artistes décorateurs de Paris en 1948, aujourd’hui accessible à 150 000/200 000 €. Un ensemble décidément complet et authentique, témoin des plus belles années de création d’Eugène Printz.