Du collectionneur, récemment décédé, on ne saura que très peu. Anonymat et discrétion sont de mise. «C’était un homme de passion qui vivait en Bretagne, avec un métier captivant, l’obligeant à se rendre très souvent sur la Côte d’Azur», nous confie Carole Jézéquel, commissaire-priseur de Rennes Enchères, précisant que sa collection avait été constituée à l’insu de ses descendants. Constatons qu’il aura aimé se nourrir de l’atmosphère visuelle des territoires où il séjournait et des lieux qu’il habitait. Michel Maket, l’expert de la vente, y voit aussi «un chemin dans la peinture figurative, le goût assez large d’une personne, mais surtout, un plaisir. C’est quelqu’un qui fonctionnait au coup de cœur et aux souvenirs». Les ressorts des choix esthétiques sont habituellement à l’égal des collectionneurs, variés, presque infinis. Pour monsieur, son plaisir s’accompagna d’une certaine idée du bonheur et de la beauté jusqu’à la fin de sa vie.
À l’écart des grands courants
Au fil des numéros, on subodore qu’il a noué des relations de confiance avec un ou plusieurs galeristes. En revanche, le fait que son métier n’ait pas du tout été en rapport avec le monde artistique lui a permis, semble-t-il, de répondre à ses désirs et à sa sensibilité sans le filtre de l’histoire de l’art et des critiques. D’ailleurs, n’est-ce pas là le propre de la passion, dont on fait régulièrement l’étendard dans le domaine de l’art ? Sont ainsi absents de cet ensemble les grands courants qui ont structuré la peinture figurative d’après-guerre jusqu’à aujourd’hui : réalisme, expressionnisme, nouveau réalisme, hyperréalisme, nouvelle figuration et, dans les années 1980, la figuration libre. Non, l’ensemble est le témoignage d’un autre art figuratif, qui n’a jamais cessé d’exister depuis les années 1930, répondant à une attente d’un public en quête de souvenirs et de rêves. Elle séduit de nombreux amateurs aujourd’hui et constitue un pan du marché. Au total, les 100 numéros de la collection, artistes plus ou moins connus, déclinent des œuvres «de bon ou de très bon niveau», souligne Michel Maket. Des dialogues sont bien entendu possibles entre les œuvres, entre des styles très personnels qui se répondent : par exemple la ligne, inquiète et incisée, de Bernard Buffet et celle, aérienne et rêveuse, d’Alekos Fassianos (voir encadré page 15). «L’éclectisme de la collection ne me choque pas, c’est ce qui fait son côté original. En Bretagne, on voit souvent ce genre de choses, car le Breton est voyageur, passionné et aime les rencontres», assure Carole Jézéquel.
Réalité poétisée et célébrée
Quel est donc cet art figuratif ? À la fin des années 1940 a émergé en France une peinture d’héritage faite de dessin et de couleur. Elle scande l’amour de la nature, traduit des instants de vie. Ces artistes, réunis dans un groupe informel dit de la «réalité poétique», regardaient vers Vuillard et Bonnard tout en puisant dans la boîte à outils des révolutions figuratives antérieures : impressionnisme et post impressionnisme. André Planson (1898-1981), présent avec deux œuvres — dont un paysage côtier breton (500/800 €) – en fit partie, avec les Brianchon, Oudot, Legueult, etc. Un autre «historique» de la réalité poétique agrémente la collection : le Tarnais Jules Cavaillès (1901-1977), l’ami de Bonnard, Chagall, Dufy, Matisse, Braque et Pougny. Ses paysages, natures mortes et intérieurs, à l’atmosphère vaporeuse et matisséenne, sont façonnés en touches vives et déliées, tel ce Bouquet à la partition et au violon de 1945 (3 000/5 000 €). Dans cette dévotion à l’art figuratif, le paysage solidement composé d’Yves Brayer (1907-1990), une vue en contre-plongée de Cagnes datée de 1967 (6 000/9 000 €), s’intègre naturellement à la collection, voire la domine. Des générations d’artistes ont interprété à la suite de leurs aînés ce réel joyeux et une nature vue comme éternelle. On en trouvera plusieurs représentants. Le paysage immersif, vu plein cadre, composé par touches et discrets aplats de couleurs, L’Enclos, (5 000/8 000 €) de Bernard Cathelin (1919-2004), en est un exemple abouti. La collection offre naturellement une place importante aux peintres de la Provence et de sa lumière, si particulière. Contemporain de Claude Monet, François Nardi (1861-1936) est un de ces petits maîtres reconnus dont les œuvres, réalisées à Toulon, et notamment ses marines, sont toujours recherchées (1 200/1 800 €). Eugène Baboulène, avec trois opus dans la vente, s’inscrit fort justement dans cette peinture du Sud, avec une intéressante Cuisine du pêcheur (2 200/3 000 €). Enfin, moins présente que les paysages animés ou urbains, la figure humaine n’est pas oubliée. Elle apparaît dans les nus à la facture traditionnelle du peintre lyonnais Pierre Deval, les féeries colorées du Catalan Blasco Mentor, actif à Solliès-Toucas (Var), et dans l’esthétique chargée, bouillonnante et narrative de Tobiasse : Dans les jardins de la mer Rouge, 1977 (7 000/12 000 €).
Ensembles conséquents
Lorsqu’il aimait, notre collectionneur ne semblait pas trop compter. Cette confiance et cette fidélité sont à souligner. La passion, encore et avant tout, comme fil rouge. À quelques exceptions près, la vente comporte au moins deux numéros d’un même artiste, souvent plus. Amateurs et marchands seront donc attentifs aux ensembles plus conséquents. Six paysages urbains de Charles Malle (né en 1935), peintre pratiquant une figuration surannée et quasi onirique, passent sous le feu des enchères. La cote de cet artiste aujourd’hui apprécié internationalement est cependant bien ancrée sur le marché des ventes publiques. L’esthétique instinctive au service de paysages baignés de soleil et de couleurs de Jean Sardi (né en 1947), artiste originaire de Toulon et principalement connu localement, se confrontera au second marché avec pas moins de dix huiles. Enfin, les dix portraits en buste, à la facture gestuelle et expressionniste, de Thierry Loulé (né en 1967), autre artiste toulonnais, clôtureront cette vacation riche en émotions.