Sous le signe des arts asiatiques, une vente cannoise nous réserve son lot de surprises… notamment impériales, comme ce kesi du XVIIIe siècle. Une technique ancestrale réservée aux plus grands du royaume.
La valeur de cet objet réside dans son nom : kesi. Appelée également «k’o-sseu», cette technique de tapisserie en soie, au petit point, est utilisée en Chine depuis de nombreux siècles. Elle y serait apparue sous la dynastie des Song (960-1127). Son origine ? Le Turkestan oriental. Le peuple ouïghour l’aurait introduit au XIe siècle, à la faveur de son installation, via la Perse, en Chine du Nord. Se différenciant du tissage sur grand métier alors utilisé dans le pays, le kesi va s’imposer par son raffinement et sa résistance aux affres du temps. Il implique une chaîne continue et des trames discontinues. Si le tisserand utilise le traditionnel métier en bois, son travail de montage est très particulier. Après avoir disposé le modèle peint sous les fils de chaîne, il recouvre ces derniers de trames de différentes couleurs, à l’aide de navettes et de plectres en bambou contenant une multitude de fils de soie. Ces textiles sont à double face, le motif étant le même à l’envers et à l’endroit. On utilisait le kesi aussi bien pour les vêtements que pour les décors intérieurs, tels les portraits d’empereurs. Car il était essentiellement réservé à la famille impériale. Sous les Ming, l’un des principaux centres d’activité se trouve dans la ville de Sou Tcheou, ou Suzhou, près du grand lac Taihu, à quatre- vingts kilomètres de Shanghai. Symbole de richesse et de finesse, les kesi sont exclusivement réalisés à partir de la soie. Cette production s’imposera également par ses spécificités, comme l’absence de relais entre deux couleurs, permettant de laisser des fentes apparentes pour donner une impression de relief. Avec leurs décors colorés exceptionnels, bien souvent repris d’œuvres d’artistes célèbres, ces ouvrages sont parfois classés parmi les peintures, car les artistes artisans y apposent occasionnellement des rehauts peints.
Le grand sceau du prince de Sang Yi
Sous les Ming, puis au début des Qing, le kesi se perfectionne encore en s’inspirant de plus en plus des techniques picturales, comme en témoigne notre modèle de plus d’un mètre de hauteur, représentant les Immortels dans un paysage idyllique. Ces huit personnages célèbres du taoïsme, qui durant leur vie ont acquis des pouvoirs magiques et notamment celui de l’immortalité, sont un thème courant de l’iconographie populaire et religieuse. Chacun illustre un échantillon particulier de la société. Voici donc six hommes et deux femmes, parmi lesquels des ermites, un oncle d’un empereur Song en habit de cour, un musicien, un mendiant excentrique, un alchimiste, un boiteux ivre, un maître taoïste et un général de la dynastie Han. Ils sont accompagnés ici de Shou Lao, le «Vieillard de la longévité», représenté avec son front démesurément allongé et une longue barbe blanche, et de symboles de longévité, comme les pêches. Une composition sommée du Yiqinwang bao, c’est-à-dire le «grand sceau du prince de Sang Yi», un titre donné aux princes impériaux à partir de l’empereur Kangxi. Une marque impériale qui convaincra même les plus hésitants…