Emmanuel Macron, même dans les moments les plus opportuns, ne peut s’empêcher de dire des bêtises. Et, manifestement, il lui manque un entourage pour le lui signaler (et lui expliquer que le Clos-Lucé est le dernier endroit où il est possible de rendre hommage à Léonard de Vinci). La combinaison de ces travers s’exerce à merveille dans la loi d’exception visant à mettre en application sa promesse inconsidérée de reconstruire Notre-Dame de Paris à temps pour les jeux Olympiques, alors même que le diagnostic des dégâts, qui devrait prendre des mois, n’est pas entamé. Ce garçon manque de logique. Si, pour réussir un chantier, mieux vaut se passer des appels d’offre, des règlements de sécurité et de la protection esthétique des sites et des alentours, pourquoi diable conserver ce fatras législatif ? Par la même opportunité, le gouvernement pourrait en profiter pour faire de sérieuses économies budgétaires en dissolvant le ministère de la Culture, dont l’utilité se réduit notablement à mesure qu’il démontre une capacité remarquable à l’abdication de sa propre mission. Pour expérimenter une telle entreprise de dérégulation, l’exécutif prend en outre le risque de l’appliquer au projet le plus ambitieux de la décennie à venir et le plus exposé, plaçant chaque étape au cœur de toutes les suspicions. Que dira-t-on quand Bouygues ou Vinci va décrocher un contrat à plusieurs centaines de millions d’euros, en promettant d’exploiter des matériaux qui permettent d’aller plus vite ? Comment seront interprétés le choix des architectes et l’option retenue pour remplacer la flèche de Viollet-le-Duc ? Sans parler de la réaction du public au moindre accident de chantier, toujours possible comme nous le rappellent tristement les drames de ces années passées.
Au passage, Emmanuel Macron semble avoir oublié que la France est liée à des conventions internationales. Notre-Dame est l’un des trésors du patrimoine culturel mondial, et, à ce titre, la France s’est engagée à respecter des règles éthiques de restauration. Dès le mois de juin, le comité mondial du patrimoine va examiner ce dossier. La France entend-elle aussi se libérer de cette parole ? L’amère ironie de l’histoire veut que les codes sur lesquels le gouvernement et le Parlement entendent s’asseoir ont été inspirés par Victor Hugo, au moment même où il se faisait le héraut de Notre-Dame et de son histoire millénaire. En 1832, protestant contre les démolisseurs du patrimoine dans La Revue des Deux Mondes, il en appelait à «une loi pour les monumens, une loi pour l’art, une loi pour les souvenirs […] une loi pour les cathédrales, une loi pour l’histoire […] une loi pour l’irréparable qu’on détruit […] ». Fustigeant les dégâts de «la bévue administrative» que la centralisation rend «plus grosse» encore, il exhortait : «Faites réparer ces beaux et graves édifices. Faites réparer avec soin, avec intelligence, avec sobriété.» Et il lançait : «Nous devons compte du passé à l’avenir.» Cet avertissement a été entendu par les 1 170 architectes, historiens et scientifiques qui ont publié une lettre ouverte dans Le Figaro pour demander au gouvernement de reconsidérer la question. Sont-ils audibles d’un président qui promet de faire participer davantage la société au gouvernement de la nation ? Au même moment, à la suite de notre billet sur la grande misère des fontaines parisiennes, le Grand Palais nous fait savoir que l’hypothèse, à l’occasion du chantier du nouvel édifice, de supprimer celle édifiée en 1910 au square Jean-Perrin, devant l’entrée du côté des Champs-Élysées, a été définitivement abandonnée comme quoi la mobilisation citoyenne a du bon, même en cette époque où le temps, plus que jamais, se fait le péché de l’éternité.
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