Négligées au XXe siècle, reines et favorites ont pourtant laissé leur empreinte au cœur du château. Grâce à de récentes recherches, l’institution les remet en lumière dans deux expositions, alors même que l’appartement de la Reine vient d’être restauré.
Pour cette foule, avide de légendes, émue par le roman et quelquefois même par la simple histoire, Versailles a surtout le souvenir des femmes qui l’animèrent, qui en firent la grâce et lui donnèrent une parure sans cesse renouvelée. Tout le monde sait que plusieurs d’entre elles tinrent, en leurs mains légères, les rênes assouplies du pouvoir.» Cet extrait du recueil sur Les Femmes de Versailles (1901) de Pierre de Nolhac, alors conservateur du château, révèle l’ampleur du fossé culturel qui s’est lentement creusé. En un siècle, les souveraines et favorites ont troqué, dans l’historiographie, les «rênes assouplies du pouvoir» contre une image d’ornement de cour. Sans faire de Versailles un gynécée royal, elles furent pourtant diverses et nombreuses à façonner l’image du lieu. Probablement, la perte de leur pouvoir politique, avec l’exclusion d’Anne d’Autriche du Conseil en 1661, jusqu’au retour de Marie-Antoinette en 1788, a contribué à brouiller leur véritable position. L’installation de la cour à Versailles, en 1682, redéfinit en effet leur rôle, particulièrement dans l’aménagement du palais. Pour rendre justice à cette face négligée de l’histoire du monument, Versailles organise trois événements, dont la concomitance doit au hasard des recherches. La concordance entre la mise en lumière de Madame de Maintenon dans ses appartements restitués, la présentation des collections de Marie Leszczynska récemment réunies et l’achèvement de la restauration de l’appartement de la Reine, riche en découvertes, vient auréoler un ensemble de travaux sur le rôle et la place des femmes à Versailles.
La marque de ces dames
Conservateur en chef des sculptures au château, Alexandre Maral donnait un coup de pied dans la fourmilière quand, en 2016, il publiait Femmes de Versailles. Jusque-là, la recherche s’était largement polarisée sur l’influence politique de ces dames : Simone Bertière avait publié un cycle sur les reines de France, des Valois aux Bourbons, entre 1994 et 2002 ; en 2011, Bernard Hours, dans La France de Louis XV, avait rendu aux femmes leur rôle politique dans le système gouvernemental, précédé par Joël Félix, en 2006, avec Louis XVI et Marie-Antoinette. Un couple en politique. Dix ans plus tard, les recherches de Maral permettaient de ressusciter le goût des figures oubliées telle la princesse de Conti, fille de Louis XIV, ou la duchesse de La Vallière, maîtresse du Roi-Soleil et grand soutien du peintre Claude III Audran, maître d’Antoine Watteau mais aussi d’analyser la topographie du palais comme un témoignage de l’importance accordée aux souveraines, favorites et dauphines. Forte de ces découvertes, la restauration du grand appartement de la Reine qui vient de s’achever, après trois ans de travaux, a permis de retrouver l’empreinte de Marie-Thérèse. «Le chantier le plus spectaculaire est la salle des Gardes, qu’on ne regardait plus. Hormis les portes, parmi les rares qui subsistent sur place du temps de Louis XIV, il reste peu de traces de Marie-Thérèse d’Autriche. Peu de personnes se sont intéressées au goût de celle qui était surtout l’épouse de Louis XIV. La restauration a permis de mieux comprendre et connaître l’intervention de chacune des reines sur le décor», indique Laurent Salomé, directeur du Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Ainsi le plafond de Noël Coypel (1628-1707) s’offre-t-il sous un nouveau jour après le dégagement des repeints. Dans cet enchevêtrement des embellissements et des souveraines, le plafond de la Chambre de la Reine concentre le compartimentage en rocaille de Marie-Thérèse et les peintures de François Boucher pour Marie Leszczinska. La restauration a également révélé que la modénature des compartiments de Marie-Thérèse, réalisée en carton-pierre, datait du règne suivant. Les étoffes de Marie-Antoinette, quant à elles, ont été retissées à partir des cartons originaux, tandis que le lit et la balustrade ont été resculptés d’après les archives.
Loin de la femme stricte et austère
La mort de Marie-Thérèse, en 1683, ouvre la gloire à une autre femme, Madame de Maintenon, installée depuis trois ans à quelques pas de l’appartement du Roi. «Elle fut la seule favorite à vivre au château, et pendant trente-deux ans. Pour ce faire, le roi lui a donné un rôle spécifique, deuxième dame d’atour. Son appartement, qu’elle trouvait petit, devient un lieu stratégique, au cœur du pouvoir : toute la cour passe par l’escalier qui y mène pour rejoindre l’appartement du Roi», commente Mathieu Da Vinha, commissaire associé de la première exposition que consacre Versailles à la «presque reine» mariée en secret à Louis XIV en 1683 en lieu et place de ses anciens appartements restitués pour l’occasion. Les tentures ont été retissées sur les modèles d’origine, alors que certaines œuvres retrouvent leur place comme le Ravissement de Saint-Paul par Nicolas Poussin, commande de son premier mari, l’écrivain Paul Scarron, acquise par le duc de Richelieu en 1665 et aujourd’hui au Louvre. Est battue en brèche l’idée d’une femme austère et stricte qui aurait déteint sur le château, tandis que les preuves de son mariage secret sont pour la première fois exposées. Au centre du pouvoir, Madame de Maintenon a aussi défini le costume des femmes de cour, inauguré les «soirées d’appartement», faites de jeux et de conversations, et soutenu le théâtre en ouvrant les portes du château aux représentations d’Esther et d’Athalie de Jean Racine. Cette avancée de la recherche donne des idées à Laurent Salomé : «Outre son portrait et ceux de son entourage présentés dans les salles Louis XIV, il faudrait, dans le cadre de leur remaniement, effectuer quelques acquisitions. On connaît des peintures en collection privée, comme on nourrit des rêves pour certains portraits de la Montespan !» À défaut d’avoir conservé les aménagements successifs, l’institution se replie sur une dynamique politique d’acquisition. En 2018, outre le retour de la commode réalisée en 1776 par l’ébéniste Jean-Henri Riesener pour Madame Adélaïde (1732-1800), fille de Louis XV, les collections de Marie Leszczynska (1703-1768) se sont enrichies de deux beaux achats. Sont ainsi présentés, dans une exposition dossier visible dans les appartements de la Dauphine sur le goût de l’épouse de Louis XV, un vase à rocailles à décor de rubans roses des débuts de la manufacture de Sèvres un cadeau de Louis XV pour les étrennes de la reine et le cabinet des Chinois, ensemble de neuf panneaux peints en partie par la reine elle-même sur les conseils de Jean-Baptiste Oudry, voire de Jean-Marc Nattier ou Noël Coypel. Illustrant la culture et le négoce du thé, ce cabinet de fantaisie sera remonté l’an prochain dans l’actuel supplément de bibliothèque de Marie-Antoinette. «Personnage maternel, épouse d’un roi libéré, elle donnait un air rangé, terne pour certains. On a oublié son rôle de décoratrice : elle initia le changement vers le style rocaille, aimable, fleuri. C’est elle aussi qui a développé le goût pour les appartements privés, confortables et raffinés», rappelle Laurent Salomé. L’appartement de la Dauphine doit être remeublé, les petits appartements de la Reine seront rendus au public avant la fin de l’année, tandis que les appartements de Marie-Antoinette, au deuxième étage, devraient aussi être revus. Quant au Hameau de la reine, après la maison qui a été restituée telle que l’a connue Marie-Louise, le chantier du Boudoir devrait prendre corps. Élisabeth Vigée Le Brun, qui considérait dans ses Mémoires que «les femmes régnaient alors, la Révolution les a détrônées», serait-elle enfin contredite ?