La première des ventes de liquidation de l’énorme fonds de la compagnie se tiendra en décembre sous le marteau de Claude Aguttes. Drouot accueillera toutes les ventes de la plus importante collection de manuscrits au monde.
Il faudra au moins six années et plus de trois cents sessions pour écouler l’ensemble du stock et des collections d’Aristophil… C’est ce qu’a indiqué le commissaire-priseur Claude Aguttes alors qu’il annonçait, mardi 14 novembre à son siège de Neuilly, l’organisation de la vente inaugurale, le 20 décembre prochain à l’hôtel Drouot. En treize ans, la société, poussée à la faillite après la mise en examen de ses dirigeants, avait réussi à collecter plus de 130 000 manuscrits, objets et documents. Dix-huit mille clients ont investi un total de 850 M€, dans ce que le parquet a dénoncé comme une chaîne de Ponzi. Une accusation vigoureusement contestée par le fondateur, Gérard Lhéritier. Quatre ans après les premières mises en examen, l’instruction suit toujours son cours. Près de deux cents lots seront mis aux enchères lors de cette vacation, pour laquelle Claude Aguttes tiendra le marteau. Chargé de l’inventaire du fonds et de la coordination des ventes par le tribunal du commerce, il a voulu proposer un échantillonnage des collections, apparemment passablement hétéroclites, de la défunte entreprise. Par la suite, les vacations à Drouot, réparties au sein d’un groupement de sociétés de ventes, seront séparées en littérature, beaux-arts, sciences, histoire ou archéologie, si possible en aménageant des thématiques. Cette session inaugurale comprendra cependant des manuscrits, bien sûr, mais aussi des dessins anciens, des photographies ou même des souvenirs comme une boucle de cheveux de Napoléon. Le fleuron en est sans conteste le rouleau sur lequel le marquis de Sade, emprisonné à la Bastille, a reporté en cachette le violent récit des Cent vingt journées de Sodome. Estimée de 4 à 6 M€, cette pièce à l’histoire extraordinaire constitue à elle seule le tiers du produit global espéré de la vente, de 12 à 16 M€. Une dizaine de cahiers fondateurs du surréalisme seront également proposés, pour 4,5 à 5,5 M€, dont le Manifeste du surréalisme, le poème «Poisson soluble» qu’André Breton a publié dans le même ouvrage en 1924, ainsi que le Second Manifeste du surréalisme, de 1930. En 2008, l’acquisition spectaculaire chez Sotheby’s, à Paris, de cet ensemble provenant de la première épouse de Breton, pour un total de 3,6 M€, avait lancé Gérard Lhéritier sur le devant de la scène. Le Manifeste avait alors atteint 1,9 M€, quintuplant presque son estimation, et «Poisson soluble» la quadruplant, à 900 000 € (le Second Manifeste quant à lui avait été acquis plus tard). C’est dire la difficulté de poser des estimations raisonnables après les mouvements en dents-de-scie d’un marché qui s’était alors trouvé propulsé dans la spéculation, avant de se voir brusquement privé de son principal acteur.
De l’Iliade à Romain Gary
Selon un calendrier qui sera établi au fur et à mesure, d’autres trésors suivront, comme des fragments des rouleaux de la Mer morte ou de l’Iliade, des livres d’heures et des ouvrages enluminés remontant à la période carolingienne, des manuscrits littéraires fondamentaux d’Honoré de Balzac, Maupassant ou Romain Gary, des échanges de formules sur l’orbite de Mercure entre Einstein et Michele Besso, une correspondance de René Char, des partitions de Bach ou Beethoven, des courriers de Louis XVI ou de Napoléon... Claude Aguttes, dont l’équipe a passé huit mois à effectuer le pointage de cet ensemble (voir Gazette n° 12, page 29), se retrouve accompagné d’un collège d’experts, formé d’Ariane Adeline, spécialiste des incunables, Jacques Beneli, Thierry Bodin, Claude Oterelo, qui a aussi à charge de regarder les peintures ou aquarelles du XXe siècle, René Millet, responsable des dessins et tableaux anciens, et Mario Mordente, un expert en histoire postale. Un comité de sages est chargé d’apporter sa caution scientifique et culturelle, auquel ont accepté de participer l’ancien ministre Frédéric Mitterrand, ainsi que des représentants de groupements d’experts (SFEP et CEDEA), Didier Griffe et Michel Maket. Le parti a été pris de mélanger des lots au statut juridique différent. Une fraction provient du stock propre d’Aristophil et se trouve donc soumis au régime de la vente judiciaire (la commission acheteur se monte alors à 14,4 %). Les revenus seront gardés sous séquestre en l’attente du dénouement des procédures, rejoignant la centaine de millions d’euros saisie sur les comptes bancaires. Mais la plupart des biens proviennent des 54 collections que la société a vendues en indivision, tout en les maintenant sous sa garde. Chacune appartient donc à plusieurs centaines de copropriétaires (près de 27 000 contrats ont été signés, pour une valeur moyenne d’environ 30 000 €). Pour ces objets, le taux sera de 30 %, sauf pour les livres qui bénéficient d’une TVA allégée (26,375 %). Aucun frais ne sera facturé aux clients d’Aristophil, qui ne pourront vraisemblablement récupérer qu’une partie de leur mise. Cette masse considérable de lettres et d’objets plus ou moins anecdotiques reste impossible à évaluer, mais le commissaire-priseur, en relation avec les associations de victimes, a affiché sa confiance dans le plan stratégique mis en place, disant «mettre toute son énergie avec son équipe pour optimiser la valeur de revente, dans l’intérêt des vendeurs mais aussi du marché».