Bravant la crise sanitaire, elle ouvre le 19 octobre la nouvelle galerie Marguo à Paris, avec son associé Jean-Mathieu Martini. Au menu un artiste chinois prometteur, Zhang Yunyao.
Comment est né ce projet de galerie parisienne ?
Mon associé Jean-Mathieu Martini a parlé avec les promoteurs d’un nouveau pôle immobilier dans le Marais. Notre projet de la galerie Marguo — qui réunit nos deux noms — les a convaincus et nous avons pu obtenir l’un des plus vastes espaces disponibles. Les discussions avaient commencé avant le confinement, et les choses se sont décidées après. J’ai décidé de quitter Hauser & Wirth, où je gérais le secteur Asie, en juillet. La décision a été rapide, même si quitter un emploi stable en pleine crise sanitaire n’a pas été facile. Mais c’est toujours mieux de partir pour quelque chose que d’être contrainte de quitter une place… Même si cela comporte des risques.
Vous quittiez un bon job !
Vous savez, j’ai commencé chez Hauser & Wirth New York en 2016. Depuis New York, je me rendais déjà au moins une fois par mois en Asie pour développer la présence des artistes dans la région auprès des collectionneurs et des institutions. Cela s’est terminé par l’ouverture de Hauser & Wirth à Hong Kong en 2018. Nous avons organisé à la galerie des expositions vraiment fantastiques comme celles consacrées à Mark Bradford et Philip Guston. Nous avons participé à l’exposition muséale itinérante sur Louise Bourgeois à Pékin et Shanghai l’année suivante. Elle a eu un énorme retentissement et l’exposition commerciale à la galerie a très bien marché. Nous avons pratiquement fait sold out ! Nous avons aussi organisé l’exposition de Mark Bradford à Shanghai, au Long Museum. Bref, j’étais devenue une experte de l’Asie. Auparavant, j’avais travaillé chez Christie’s, sur le même continent, pendant quatre ans pour développer le marché. Je faisais partie de l’équipe chargée de mettre en place les ventes en 2012 en Chine continentale, ce qui était nouveau.
Quel est le parcours de votre associé, Jean-Mathieu Martini ?
C’est un spécialiste de la photographie depuis plus de vingt ans. Il est basé à Paris, mais je l’ai rencontré à Shanghai. Il travaille principalement avec les institutions et les musées comme le Getty, à Los Angeles, ou le Met, à New York, pour y placer les collections et les archives des photographes – l’un de ses axes de longue date est la photo classique. Il avait envie de se consacrer davantage aux artistes vivants.
Pourquoi avoir choisi Paris pour ouvrir une galerie ?
Paris a un énorme potentiel. En 2019, la France arrivait en quatrième position derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine en termes de transactions et de volume. La FIAC, ces dernières années, attire de plus en plus de collectionneurs, grâce à la qualité des œuvres montrées. Au point que certains interlocuteurs la préfèrent maintenant à Frieze ! La combinaison d’une foire internationale majeure et d’une place culturelle historique s’ajoute au fait que des galeries mondiales de premier plan veulent en faire le centre de leurs opérations en Europe, avec les incertitudes entourant le Brexit, concernant les taxes sur l’art et les conditions pour «faire du business» : tout cela peut redonner sa grandeur à Paris. Et en plus, je rêvais d’y vivre !
L’annulation de la FIAC cette année ne vous a pas refroidie ?
Bien sûr, c’est difficile en ce moment. Mais je pense que cela va passer. Les choses vont s’arranger sur le long terme. Peu de jeunes galeries qui se lancent à Paris peuvent avoir comme nous une vision globale et des perspectives mondiales. Jean-Mathieu est français, j’ai travaillé à New York pendant des années, je connais parfaitement la Chine… et je suis installée en Europe ! Pour développer cette activité, vous pouvez être local, à la condition d’être également global ! Mon objectif est de soutenir les jeunes artistes de ma génération avec un réseau mondial. Aujourd’hui, si vous êtes un jeune créateur, vous n’avez plus besoin d’attendre d’avoir 50 ou 60 ans pour bénéficier d’une visibilité internationale. Cela notamment grâce aux nouvelles technologies et à nos réseaux…
Quels collectionneurs visez-vous ?
Cela dépend de la région du globe ! Il existe ici un nombre incroyable d’institutions dont la fondation Vuitton, le Centre Pompidou et prochainement la Pinault Collection et la fondation Cartier, qui va ouvrir près du Louvre. À côté de ces big players, il existe aussi une nouvelle génération de collectionneurs en train d’éclore. Nous allons aller à leur rencontre. Paris prend une importance stratégique dans le marché de l’art mondial, et le fera encore plus quand les voyages reviendront à la normale. Toute l’Europe va revenir ici, tout comme les Américains, les Asiatiques… Les vaccins vont arriver. En tant que galeriste, je ne regarde pas les six prochains mois mais les trois prochaines années, le temps qu’il faut pour s’installer. C’est un challenge !
Les artistes asiatiques seront-ils au cœur de la programmation ?
Nous ne voulons pas seulement montrer de l’art asiatique, mais avoir une programmation globale. J’ai l’intention de travailler avec des artistes émergents d’Asie, d’Amérique et d’Europe. Bien sûr, les artistes français et chinois, en raison de ma culture d’origine, auront une place de choix. Après l’exposition inaugurale, je pense mettre en avant des artistes femmes de Chine, d’Europe et des États-Unis…
Vous inaugurez la galerie avec le Chinois Zhang Yunyao…
C’était important pour nous d’ouvrir pendant la FIAC. Avec son annulation, Asia Now est devenue l’événement de la semaine. Zhang Yunyao aura droit sur cette foire à un projet spécial, curaté par Hervé Mikaeloff. Ce sont comme deux chapitres d’une même exposition. Certaines œuvres que nous montrons sont d’une extrême minutie, elles prennent parfois un mois pour être terminées. Certaines ont été réalisées dans l’atelier de l’artiste à Shanghai avant le confinement, et d’autres à Paris, où il est resté bloqué avec la crise sanitaire. Une partie est inspirée d’une visite de Zhang Yunyao au Louvre, qui a pu voir les sculptures, tôt le matin. Il mêle une technique très contemporaine exécutée sur feutrine à la mine de plomb ou au pastel sec et des références classiques à l’Antiquité. L’œuvre phare sera une tête de Gorgone mixée avec un autoportrait de l’artiste. Les prix démarrent à 5 000/6 000 €. Zhang Yunyao figure déjà dans plusieurs collections importantes et a bénéficié d’une exposition à Shanghai l’an dernier au Qiao Space, qui a eu un gros succès et qui coïncidait avec la foire de Shanghai.
Quelle est la situation actuelle en Asie ?
Elle est meilleure que partout ailleurs, spécialement en Chine. Le pays revient à la vie normale, et les gens se rattrapent en dépensant, en consommant. Ils voyagent comme des fous partout à l’intérieur des frontières sur un territoire immense ! Je parle avec mes contacts chaque jour et il y a une grande excitation. Ils achètent de l’art en ligne, par mail, sur Instagram… De l’art international. Les expositions en galeries et dans les institutions se remettent en route en Chine continentale. C’est très positif.
N’est-il pas risqué de miser sur les artistes émergents en ce moment ?
Les jeunes artistes dont les prix sont encore relativement bas se vendent mieux qu’avant, même si le volume n’est pas aussi important qu’avant la crise. Pour les acheteurs, c’est une dépense raisonnable. Bien sûr, les gros investisseurs veulent toujours des artistes blue chip. Mais il existe d’autres collectionneurs plus jeunes, et nouveaux sur le marché, qui recherchent des artistes émergents abordables. La situation est plus délicate pour ceux qui sont en milieu de carrière, pas encore au sommet, dont la cote est d’environ 100 000 $. Une somme importante qui fait hésiter en ce moment beaucoup de collectionneurs.