Une question de dextérité

Avec cette sculpture, Auguste Rodin a fait de la chirologie avant l’heure, tant l’anatomie élancée de cette main et le jeu délié de ses doigts, manifestement hyperlaxes, sont en corrélation avec le caractère de leur propriétaire, un pianiste chevronné. De même que le musicien engage tout son corps en pratiquant son instrument, Rodin se saisit de son sujet sur le vif, obéissant à la nature en modelant le plus fidèlement possible le mouvement de son sujet. Le corps tient une place primordiale dans l’œuvre de l’artiste, qui le conçoit comme un vecteur des emportements de l’âme. À ce titre il s’affranchit des poses académiques pour leur préférer les attitudes pleines de vie, ce qui le pousse à s’enthousiasmer pour la danse. Ses études de mains des danseuses cambodgiennes sont tout aussi parlantes que cette sculpture, dont douze épreuves ont été tirées entre 1965 et 1971. Elle se distingue, par sa taille plus grande que nature, des séries de mains expressives façonnées dans les années 1880 comme autant d’essais pour la Porte de l’Enfer. Aux cimaises, la main de Bernard Buffet a tracé son nom et la date «61» sur une toile montrant un Grand Bouquet d’iris (200 000/300 000 €). Cette immanquable signature effilée, dont les jambages se font l’écho des tiges élancées, fait partie intégrante de la composition et souligne la fierté de l’artiste à l’avoir peinte. Dans une interview accordée au Figaro en 1992, il martelait à l’attention de ses détracteurs : «Mes tableaux ont été exécutés par mes mains, celles d’un ouvrier, celles d’un homme, pour être prises par d’autres mains d’hommes.» Un autre artisan de la ligne sera aussi mis en avant, René Gruau. Quelques mouvements de main, d’une concision magistrale, ont suffi à faire naître certaines de ses femmes. Elles seront seize, de gouache et d’encre de Chine, accessibles dans une fourchette d’estimations plus douce, entre 3 000 et 10 000 €.