Alors que les musées font carton plein avec leurs expositions temporaires, les monuments nationaux entrent dans la danse, avec une première saison culturelle coordonnant six édifices autour du thème de la tapisserie. Réflexion sur la nouvelle stratégie de rajeunissement de nos vieilles pierres.
D’aucuns diront qu’inaugurer un cycle autour de la tapisserie dans les monuments historiques est anecdotique, voire conventionnel. Rien n’est pourtant moins sûr. L’organisation d’«En lices !», série de manifestations articulées autour d’un même thème dans six édifices nationaux, signe l’amorce d’une nouvelle ère pour les monuments du pays : celle de l’événementiel. «Il faut en permanence renouveler l’intérêt du public pour les monuments. Celui-ci n’est jamais acquis», lance Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux (CMN). C’est dans cette optique qu’est née l’idée d’une saison thématique dynamique et identifiée. Ainsi, le château de Châteaudun, en Eure-et-Loir, a révolutionné l’accrochage de ses tentures au terme d’une campagne de restauration et d’acquisitions. Celui de Puyguilhem, en Dordogne, aborde quant à lui le caractère littéraire et poétique des tapisseries d’Aubusson conservées en ses murs. En Gironde, le château de Cadillac joue la carte de l’art contemporain et entame un dialogue entre la tenture du XVIIIe siècle des «Chasses nouvelles» et le travail, alliant taxidermie et broderie, du plasticien Julien Salaud. Le même jeu d’échos entre passé et présent se retrouvera, à partir du 15 novembre à Angers, entre la commande artistique faite à Olivier Roller et la tenture de l’«Apocalypse», qu’une exposition parallèle mettra en valeur. Lauréate du grand prix 2011 de la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson, Cécile Le Talec animera un projet architectural tissé et sonore, à partir d’octobre, à l’abbaye de Cluny. Enfin, le palais du Tau mettra en avant les trésors tissés et brodés de la cathédrale de Reims, à compter du même mois.
Séduire le public
Si, pour l’heure, aucune étude n’atteste de l’effet de ces manifestations en plein développement sur la fréquentation régulière d’un monument, le CMN soutient que la multiplication des propositions ne peut que fidéliser le public, et dynamiser un nombre d’entrées parfois ténu. Contrairement aux musées, qui ont pris de plein fouet les conséquences des attentats terroristes, les visiteurs n’ont pas déserté les monuments. Hormis les grands symboles de la capitale comme l’Arc de triomphe, qui a vu ses tickets d’entrée chuter d’un quart en 2016, les sites régionaux ont plutôt profité de leur situation excentrée. Mais le grand handicap contre lequel le CMN tente de s’élever est la grande disparité dont souffre le réseau. La logique de starification de certains sites renommés, comme le mont Saint-Michel (1,2 million de visiteurs annuels), la Sainte-Chapelle (900 000) ou le château comtal de Carcassonne (550 000), tend à délaisser les autres édifices. Ainsi Châteaudun, à une heure et demie de Paris, ne reçoit-il que 23 000 personnes, et le château de Puyguilhem, 12 000 âmes. «La création d’une saison a la vertu non seulement de faire vivre et faire parler d’autres monuments, mais aussi d’identifier le CMN et ses différents monuments, et de faire valoir un travail en réseau», explique Delphine Christophe, directrice de la Conservation des monuments et des collections. C’est dans cette même optique que les cycles «Monuments en mouvement», proposant des spectacles de danse contemporaine, ont été lancés en 2015. Endormi sur son passé, le patrimoine est-il destiné à un avenir chahuté, quitte à être sacrifié sur l’autel de la fréquentation ?
Parc d’attractions
«L’arrivée de l’événementiel et des animations familiales dans les monuments historiques est assez récente, et a été impulsée par les édifices privés. Nous devons prendre ce virage par rapport au schéma patrimonial traditionnel, sans pour autant nous transformer en parc d’attractions. Le tout est de trouver le bon équilibre», prévient Philippe Bélaval. «L’offre de la programmation, pour être pertinente, doit se faire selon la réputation et l’histoire du monument», poursuit Bénédicte Lefeuvre, directrice générale du CMN. Dans cette optique, le programme d’«En Lices !» s’est appuyé sur l’identité de chaque site pour développer des discours complémentaires sur les spécificités de la tapisserie. À Angers, les expositions orientent l’éclairage sur les problématiques de sa conservation ; Reims se tourne naturellement vers le trésor de sa cathédrale ; les ouvrages cynégétiques de Cadillac trouvent un écho évident dans un partenariat avec le musée de la Chasse et de la Nature et son approche contemporaine, tandis que Châteaudun met en valeur la politique culturelle qui, après-guerre, l’a conduit à devenir un lieu consacré à la tapisserie parisienne avant la création de la manufacture des Gobelins par la constitution d’une collection dédiée. Loin d’être des expositions temporaires fleuves aux prêteurs multiples, ces manifestations misent sur les collections propres à chaque monument. Ainsi les douze tapisseries actuellement accrochées à Châteaudun dont Herminie relève Tancrède (tenture de «L’Histoire de Tancrède et Clorinde»), la dernière acquise, en 2012, et qui n’avait jamais été présentée au public seront-elles mises en rotation avec les trente-huit autres pièces conservées dans les réserves de l’édifice. Cette exigence répond à la demande formulée par le ministère de la Culture au CMN, en 2000, d’inventorier ses collections à travers la base de données «Collectio». Avec un accent porté sur les tentures, le travail d’indexation de la deuxième collection de tapisseries de France vient d’être mis en ligne sur un site dédié (tapisseries.monuments-nationaux.fr), base d’une publication papier à l’automne. «Cette saison est l’occasion de faire un état de la recherche scientifique sur nos collections», se réjouit Benoît-Henry Papounaud, commissaire général de la saison «En lices !».
Éduquer et diffuser
Publications, sites internet, expositions, restaurations, installations… Cet arsenal d’événements coordonnés poursuit un seul but, celui de la transmission. «En tant qu’opérateurs de monuments historiques et non de musées, nous rencontrons des difficultés dans l’accomplissement de notre mission publique de la diffusion artistique», reconnaît Philippe Bélaval. C’est ainsi que le numérique, qui fait depuis quelques mois une entrée fracassante dans le patrimoine, est appelé à la rescousse en matière de médiation sur le thème choisi cette année. «La tapisserie est muette pour le grand public, constate Laurence Sigal, cheffe du département des publics. La création de cartels numériques à Châteaudun nous permet d’avoir une approche dynamique par des séquences animées, et plus large en termes de contenu, tout en évitant de miter l’espace, comme cela aurait été le cas avec des cartels papier». Un projet avec Google est également sur les rails pour la numérisation, en gigapixels, de la tenture de «L’Apocalypse» au château d’Angers. «La médiation va au-delà des supports et doit développer une pensée plus globale sur le travail des textes, des langues, de la signalétique, du regard sur les œuvres», poursuit Laurence Sigal. L’engouement pour ces nouvelles technologies est tel qu’on le retrouve à la Conciergerie, à Paris, avec l’introduction de l’Histopad et ses reconstitutions en trois dimensions en décembre 2016, ou au Panthéon, qui inaugure son nouveau parcours de médiation. Remeublement, renforcement du réseau, fréquentation, nouvelles technologies… La saison thématique «En Lices !» dépasse de loin la seule problématique de l’événementiel et croise nombre d’enjeux actuels rencontrées par les monuments historiques. La reconduction du projet est déjà dans les tuyaux. La saison 2018 devrait fédérer encore plus de monuments, autour cette fois de leurs graffitis et inscriptions fortuites, comme un palimpseste de leur histoire.