Adélaïde Labille-Guiard était une grande artiste et une femme de cœur. La preuve avec ce portrait de son mari, une œuvre bien connue demeurée dans la famille du couple jusqu’à ce jour.
Un visage et une main bien connus. Le peintre François-Antoine Vincent (1746-1816) a été immortalisé à plusieurs reprises par l’autre grande portraitiste du XVIIIe siècle, pastelliste tout aussi virtuose que sa consœur Élisabeth Vigée-Lebrun : Adélaïde Labille-Guiard. Il faut dire qu’entre le peintre et le modèle, l’histoire remonte à longtemps. Née dans un milieu bourgeois parisien son père tient la célèbre boutique de mode «À la toilette», où travailla Madame du Barry, alors Jeanne Bécu , Adélaïde Labille se forme auprès d’artistes indépendants, les écoles refusant alors en majorité les femmes. Durant son adolescence, elle étudie auprès de François-Élie Vincent. Ce miniaturiste et portraitiste suisse n’est autre que le père de François-Antoine. En 1769, Adélaïde intègre l’académie Saint-Luc, l’une des rares écoles à accepter les femmes, qui sera malheureusement supprimée huit ans plus tard. Cette même année, elle épouse Nicolas Guiard, commis auprès du receveur général du Clergé de France. Elle s’est alors spécialisée dans les portraits au pastel, technique apprise auprès de Maurice-Quentin de La Tour. Mais à la fermeture de l’académie de Saint-Luc, elle doit apprendre la peinture à l’huile afin d’entrer à l’Académie royale… Elle fait alors appel à son ami de toujours, François-Antoine Vincent. Ce dernier, revenu de trois années passées à Rome, avait renoué des liens avec elle depuis 1775. Ses leçons portèrent leurs fruits, puisqu’elle réussit avec succès le concours d’entrée, en 1783… en même temps que sa meilleure «ennemie», Élisabeth Vigée-Lebrun. Souvent comparées, les deux artistes se distinguent pourtant. Élisabeth cherche à mettre en valeur ses modèles dans des compositions vivantes, Adélaïde offrant plus de vérité, avec des vues plus resserrées et d’une simplicité empruntée au quotidien. La clientèle des deux portraitistes diffère aussi : la première s’acquit les bonnes grâces de la reine Marie-Antoinette et la seconde, celles de Mesdames, les tantes du roi Louis XVI.
Un portrait largement diffusé
Artiste décidée et passionnée, Adélaïde Labille-Guiard était également une femme d’avant-garde. Ainsi, elle fut l’une des premières en France à profiter dès 1793 du changement de la loi pour divorcer de Nicolas Guiard. Toutefois, leur séparation était effective depuis quatorze ans déjà, et la liaison avec le peintre Vincent avait commencé au début des années 1780. Quelques mauvaises langues devaient d’ailleurs tenter de ternir le succès de la peintre en faisant distribuer, en 1783, un pamphlet contre son immoralité. Resté sans enfant, le couple vécut ensemble jusqu’à la mort d’Adélaïde, en 1803. Avec beaucoup de tendresse, elle peignit son époux à plusieurs reprises, notamment en 1782, pour un pastel aujourd’hui conservé au musée du Louvre, notre toile datant de 1795. Présentée l’année même au Salon, elle connut deux répliques : l’une conservée au Louvre et l’autre, dans les collections de la comtesse de Castellane. Son image fut largement diffusée, notamment grâce à une gravure de Guyot et à plusieurs reprises, par ses élèves ou suiveurs. Notre tableau originel a quant à lui été gardé par l’artiste durant sa vie, puis est passé dans l’héritage des neveux de Vincent, la famille Griois, jusqu’en 1902. Par descendance, il devait rejoindre la collection de madame Durand-Foccard, où il resta jusqu’à ce jour… On ne saurait espérer mieux !