Un nouveau tableau de Raphaël ? Le titre a fait la « une » du site Internet du Journal des arts. À l’en croire, « une étude par reconnaissance faciale » permet de conclure que la Madone de Brécy serait « très probablement » de la main du génie de la Renaissance. L’intelligence artificielle serait-elle en voie de détrôner l’histoire de l’art ? Comme ce tondo est manifestement une copie tardive des figures centrales de la grande Madone Sixtine de Raphaël, à la Gemäldegalerie de Dresde, le doute nous saisit. Il avait été déniché dans le débarras d’une maison anglaise en 1981 par un amateur, feu George Lester Winward, qui l’a rapidement anobli en le parant du nom de ses ancêtres français, tout en se mettant dans la tête, contre l’avis de la communauté scientifique, qu’il s’agissait d’une première pensée du maître de la Renaissance. L’auteur du catalogue de ses peintures, Jürg Meyer zur Capellen, a pu l’étudier en 2010. Il a reconnu qu’il pouvait avoir pour origine la cour de Charles Ier Stuart – soit, faut-il le rappeler, un siècle après la disparition de Raphaël. La toile porterait en effet un monogramme de la reine consort, la sœur de Louis XIII Henriette-Marie de France, et proviendrait des descendants de son trésorier, sir Richard Wynn of Gwydir. Le site des propriétaires du tondo publie cet avis. Mais il omet de préciser que, dans le même temps, cette sommité a écarté toute attribution à Raphaël, faisant observer que la technique sur toile lui était « totalement étrangère » et énumérant des différences substantielles dans le traitement des cheveux, des bras, des drapés, etc. En 2013, la peinture fut quand même proposée aux enchères sur Internet comme prototype de Raphaël, mise à prix pour un million de livres. Personne n’a enchéri.
Les héritiers auront-ils plus de chance la prochaine fois ? Car une équipe des universités de Nottingham et de Bradford est venue à leur rescousse, se servant d’un logiciel pour déterminer qu’il y aurait 97 % de similitude dans le visage de la Vierge d’une peinture à l’autre et 86 % dans celui de l’Enfant. Soi-disant, « au-delà de 75 %, les deux termes de la comparaison sont considérés comme identiques. » Christopher Brooke, spécialiste de l’imagerie numérique et cosignataire de la recherche (non validée par une publication scientifique), saute encore une étape en déduisant une « forte possibilité statistique que l’auteur des deux œuvres soit le même ». À croire qu’il ne suffit pas aux systèmes de reconnaissance faciale de contribuer à l’écrasement des Ouïgours, encore leur faudrait-il envahir le champ de l’art, évacuant la complexité et l’imaginaire au passage… Cette géniale découverte a fait le tour des médias dans le monde, à commencer par la BBC qui nous a habitués à davantage de sérieux. Il n’y a pourtant pas besoin de faire preuve de beaucoup d’intelligence pour; comprendre que les visages d’un copiste attentionné peuvent en effet ressembler à ceux de l’original. Une chercheuse suisse utilisant la même méthode avait déjà affirmé que le Samson et Dalila de Rubens, sis à la National Gallery de Londres, avait « 91 % de probabilité d’être un faux ». Et à 9 % authentique, alors ? Seulement, quand il lui fut demandé si elle avait pris en compte les dissimilarités imputables à l’intervention d’assistants, qui était quand même habituelle pour les grands formats de Rubens, elle n’avait pas répondu. Sagement, avec peut-être une pointe de l’ironie qui caractérise nos amis anglais, le musée avait dit attendre une publication scientifique… On est en tout cas ravis d’apprendre que la face de l’Enfant Jésus pourrait être à 86 % ressemblante à celle du chef-d’œuvre de Dresde. Ce qui est sûr, c’est que la sottise humaine, additionnée à la crédulité médiatique, peuvent atteindre 100 % – et peut-être même plus.