Connu depuis une soixantaine d’années, ce panneau à fond d’or est un rare témoignage de la peinture française du tout début du XVe siècle. Pour cette raison, il pourrait déclencher une belle bataille d’enchères.
Pour fêter avec éclat ses dix ans d’existence, la maison De Baecque & Associés ne pouvait que dévoiler une œuvre exceptionnelle. Le clou de sa vacation du 12 novembre sera donc une peinture primitive de l’école française des années 1400-1410, qui dormait depuis un siècle dans une collection privée du Centre. Elle met en scène un Moine franciscain en prière devant la Vierge et l’Enfant Jésus, présenté par saint Louis de Toulouse, à droite saint André. Comme il se doit pour son époque, la composition étagée a été exécutée à la tempera sur un panneau. Au premier plan, un religieux agenouillé le donateur de l’œuvre que l’on a tenté, par la suite, de transformer en saint Bernard, comme l’indique une inscription apocryphe des plus maladroites. Il est présenté à gauche par saint Louis de Toulouse (1274-1297), évêque de la capitale languedocienne et fils de Charles II d’Anjou, et à l’opposé, par saint André, apôtre de Galilée et doté de sa croix en «X», instrument de son supplice. Entre les deux, debout sur un carrelage à motifs triangulaires, un angelot porte des armoiries. Les visages en adoration se lèvent vers la Vierge, assise sur un trône habillé d’un tissu rouge à dessins géométriques ; protégée des rayons divins par un dais, coiffée d’une couronne de fleurs et d’un voile, Marie semble poser une mitre sur la tête de saint Louis, aidée dans son geste par un Jésus joueur. D’autres éléments figuratifs sont simplement gravés dans le fond doré, tels ces anges voletant autour du siège marial et la crosse de l’évêque.
Restitué à l’école française
Le précieux panneau s’avère être l’une des rares productions de cette période lointaine ayant échappé aux ravages du temps. Ce constat corrobore l’analyse de l’historien de l’art Charles Sterling dans son ouvrage de 1987 sur La Peinture médiévale à Paris 1300-1500 (volume I) : «Les tableaux qui ont été peints en France au cours du XIVe et du XVe siècle ont disparu en majorité écrasante.» Un phénomène si massif que, lorsque cette scène réapparaît au musée des beaux-arts de Tours, en 1959, dans le cadre de l’exposition sur «L’art ancien dans les collections privées de Touraine», elle est donnée à l’école siennoise par manque flagrant de repères. Heureusement, en 1962, l’œuvre est réattribuée avec plus de justesse par le grand Michel Laclotte : il publie alors une longue étude sur ce tableau, et le classe en tant qu’«école parisienne du début du XVe siècle», détaillant indices et analogies qui révèlent son origine. À commencer par les rayures et les cercles, motifs décoratifs des vêtements couramment utilisés par les Limbourg, ou encore par le style des arabesques dessinant le groupe central, très proches de celles déployées par le Maître de Boucicaut. Sur ce le chercheur poursuit en ces termes prudents : «Est-il présomptueux, après ces rapprochements, de conclure en attribuant l’œuvre à un peintre franco-flamand, miniaturiste sans doute, travaillant dans le domaine royal entre 1405 et 1425 ?» De son côté, l’universitaire et spécialiste Frédéric Elsig vient de rapprocher cette composition de l’art du Maître de la Petite Pietà ronde, autre peintre parisien de cette période très recherchée.