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Un pachyderme aérien

Publié le , par Anne Doridou-Heim

Un Bugatti sur une Bugatti... Ajoutez un pedigree de poids et vous comprendrez pourquoi un éléphant devrait s’envoler aux enchères.

Rembrandt Bugatti (1884-1916), Éléphant, statuette du bouchon de radiateur de la... Un pachyderme aérien

Rembrandt Bugatti (1884-1916), Éléphant, statuette du bouchon de radiateur de la Bugatti Royale coupé Napoléon, argent, cire perdue de Valsuani, 19,2 cm.
Molsheim, dimanche 5 juillet 2009, Étude Gasser - Audhuy SVV. M. Huet.
Estimation : 80 000/100 000 euros

En 1904, il ne reste plus que douze années à vivre au sculpteur Rembrandt Bugatti. Le génial créateur de bronzes animaliers est aussi un homme fragile, un fauve blessé. Avec les animaux, il a noué une véritable proximité, se montrant particulièrement sensible à leur condition d’enfermement. Le parc zoologique du Jardin des Plantes, trop petit, ne le satisfait pas et c’est au zoo d’Anvers qu’il s’installe. Bugatti, déjà fort isolé dans une angoisse chronique, est vivement touché quand les animaux sont abattus, au cours de la Première Guerre mondiale. Le monde a faim, de viande et de sang ! Il ne le supporte plus et, le 8 janvier 1916, se donne la mort dans son atelier de Montparnasse. Son frère aîné, Ettore Bugatti (1881-1947) est l’autre génie d’une famille décidément fort productive – le père, Carlo, est ébéniste de talent, leur oncle, Giovanni Segantini, l’un des peintres majeurs de l’art moderne italien. Considéré aujourd’hui comme un pionnier de l’automobile, Ettore a d’abord fondé une industrie de luxe et de sport en Alsace, à Molsheim.
L’homme est un ingénieur d’instinct plus que de formation, toujours animé par la quête du beau. Avec son fils aîné et associé, Jean, il déposera près de 1 000 brevets. La perte de Rembrandt l’affecte profondément, doublée du sentiment de n’avoir pas su l’aider. Il décide de lui rendre un dernier hommage, le plus beau qui soit pour un sculpteur. Il choisit donc dans son atelier un plâtre original, de 1904, et demande au fondeur Valsuani de l’éditer en argent. Ettore Bugatti projette à cette même époque de fabriquer la plus prestigieuse, la plus rapide et la plus luxueuse automobile du monde ; il faut sup- planter la Rolls-Royce Silver Ghost. Le projet est ambitieux, les années sont folles, la luxueuse Bugatti Royale coupé Napoléon voit le jour. Mais, son coût exorbitant limite sa production. Elle n’est produite qu’à six exemplaires, dont trois seulement seront vendus pour la somme – astronomique – de 500 000 francs. Il faut dire que tout en elle est excessif : son moteur développe 300 chevaux pour une cylindrée de 12 763 cm3, elle peut atteindre la vitesse infernale de 200 km à l’heure ! Succès en demi-teinte toutefois, car aucun roi ne se porte acquéreur. À l’avant de chaque Royale trône ce fier éléphant. Ettore s’attribue la première – il la conservera jusqu’à sa mort, cachée pendant la guerre pour qu’elle ne soit pas réquisitionnée ou, pire, détruite. Cette automobile d’exception ne connaîtra que deux maîtres. Après son créateur, elle passe entre les mains expertes de Fritz Schlumpf, qui l’acquiert en 1963. Il la conserve jusqu’au 13 novembre 1981, date à laquelle son musée est nationalisé. Obligé de quitter la France, protégé avec sa famille par les forces de l’ordre, le collectionneur ne peut emporter que peu de choses. Et que choisit-il ? Notre éléphant, aujourd’hui pour la première fois sous les projecteurs. Fièrement dressé dans son habit argenté, il a tout de la vedette ne doutant pas de son prochain triomphe...

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