Instrument de séduction par excellence, l’éventail peut aussi s’élever au rang d’œuvre d’art, comme cet exemplaire signé Georges Bastard, héritier d’une dynastie de tabletiers et rénovateur de ces précieux accessoires.
Fête commerciale pour les uns, des gens qui s’aiment pour d’autres, ou jour banal, la Saint-Valentin ne doit rien à celui dont elle tire son nom. Huit saints l’ont porté, sans qu’aucun n’ait été le patron des amoureux. L’un d’eux, qui vécut à Rome au IIIe siècle, célébra des mariages malgré l’interdiction édictée par l’empereur Claudius II. De là à faire du prêtre le protecteur de ceux qui s’aiment… Ce qui n’est pas une légende, en revanche, c’est le langage amoureux auquel est associé l’éventail. Dans l’Espagne catholique du début du XVIIe, cet «utile zéphyr» sert bien sûr à calmer les ardeurs du soleil, mais aussi à traduire le langage secret de celles et ceux qui s’aventurent sur la carte du Tendre : éventail porté dans la main droite : «nous sommes observés» ; le haut posé sur le menton : «je vous aime», tandis que le laisser tomber au sol ne signifie pas moins que «je vous appartiens»… On imagine la marquise de Merteuil championne de ce code secret ! L’écran connaît alors son âge d’or en France et, s’il sert à rafraîchir l’air et à dissiper les odeurs, il est d’un raffinement extrême. Les années 1900 sonnent la fin d’un savoir-faire dans l’utilisation de matériaux précieux. Georges Bastard va cependant redonner à l’éventail ses lettres de noblesse. Avec lui, il devient œuvre d’art. Pour preuve cet exemplaire aussi lourd que fragile, au décor magistral. Si l’effet visuel est garanti, l’exécution constitue un tour de force. La nacre goldfish, issue d’un coquillage originaire du Japon, est bouillie, polie, teintée et collée par petits morceaux taillés en biseau, pour former ces délicats motifs dont la transparence laisse la lumière jouer d’effets de brillance étonnants. Deux panaches, de même facture (dont l’un a été remplacé), et un ruban d’origine complètent l’écran. Celui-ci n’est pas signé – comme parfois chez l’artiste –, mais le dessin préparatoire de sa main est conservé dans une collection privée. Originaire d’Andeville, dans l’Oise – une région qui entretient des liens particuliers avec la nacre et la tabletterie –, Bastard n’a que 27 ans quand il expose au palais Galliera des créations en nacre, des coupe-papiers, des boîtes à décor naturaliste stylisé et des éventails. En 1909, ce proche de Charles Despiau et de Jean Louis Forain, plus tard collaborateur d’Edgar Brandt pour la décoration du Normandie, est présent aux côtés de Lucien Gaillard et de René Lalique. Si la nacre et la corne ont sa prédilection, l’ivoire, le cristal de roche, le jade, le corail ou le quartz rose servent aussi son imagination. Car son talent se nourrit avant tout d’un retour à l’essentiel : la matière. Tout un art, comme le rappelle cet écran à décor de camélia – fleur si prisée de Gabrielle Chanel qu’elle en fit son emblème en 1923 –, dont on ne connaît pas d’équivalent dans les collections publiques et privées…