Supports de prières qui se sont popularisés au cours du XVe siècle, les livres d’heures ne sont pas rarissimes, mais bien souvent chargés d’émotions particulières, celles du sacré et de l’intime. Remisés, plus ou moins oubliés pendant de longues années, en voici trois pour le plus grand plaisir des collectionneurs et des spécialistes. « L’intérêt principal de ces manuscrits est qu’ils proviennent d’une même famille. L’un d’eux s’est trouvé aux mains des actuels propriétaires par un jeu d’alliances, qui remonte aux commanditaires dans les années 1520 », souligne l’expert, Ludovic Miran. La famille de Jean-Baptiste Florentin Gabriel de Meryan (1764-1829), plus connu sous son titre de marquis de Lagoy, est une provenance de marque. Natif d'Arles, l'homme n'est pas tant renommé pour son parcours militaire ou politique de royaliste convaincu – officier au régiment du Roi jusqu’à la Révolution puis député d’Aix-en-Provence sous les Bourbons – que dans le domaine de l’art, pour son importante collection de 2 500 dessins. S’étant même formé à la gravure pour faire connaître ses feuilles, bibliophile averti, il est également le neveu du grand collectionneur de livres à l’origine de la bibliothèque d’Aix-en-Provence, le marquis de Méjanes. Ce dernier en a fait son exécuteur testamentaire. Soulignons l’existence dans chacun des livres d’une étiquette ancienne portant la mention manuscrite « appartient au marquis de Lagoy ».
De noble lignée et princière
Ludovic Miran tient à préciser que « ces trois livres d’heures n’ont jamais été répertoriés, ne sont jamais passés en vente à l’époque moderne ». Une fois la provenance établie, l’examen des contenus a vite montré qu’ils déclinent les chapitres traditionnels à ce type d’ouvrage : liturgie des heures, recueil d’oraisons, calendrier de saints, messes, avec aussi des passages d’évangiles et de psaumes. En revanche, un long et précieux travail de recherche et d’expertise a permis d’identifier les commanditaires de noble lignée pour chacun d’eux, grâce aux enluminures. Même princiers, ces derniers ne se sont pas toujours mis en scène. Dans le premier manuscrit proposé aux enchères, ils ont pu être nommés grâce aux armoiries – qui appartiennent à une branche de la maison de Savoie, celle de Savoie-Raconis – ainsi que par la présence des armes de Jeanne de Pontevès. Après le décès de Jeanne, en 1555, le livre change de mains pour entrer en possession de Louise de Laval (note inscrite au verso du folio 13), puis il est transmis par alliances à la maison de Castellane jusqu’à ses actuels propriétaires. Le travail d’expertise sur l’ouvrage de 209 feuillets a donc permis d’établir qu’il est demeuré dans la famille du marquis de Lagoy depuis sa composition vers 1520. Ce manuscrit princier est estimé 50 000/80 000 €. De format véritablement « miniature » (11,3 x 8,3 x 4,9 cm), le deuxième ouvrage passant en vente, de 449 pages, fut vraisemblablement produit en Flandres pour un commanditaire de la famille Doulcet, identifiée par ses armes. La datation du manuscrit dans le dernier tiers du XVe siècle suggérerait de le rattacher à Guillaume Ier Doulcet de Pontécoulant ou à son fils Guillaume II (est. 30 000/40 000 €). L’influence anglaise est perceptible dans le choix des saints commémorés et représentés : saint George, le saint patron du royaume de Grande-Bretagne, Erkenwald, l’évêque de Londres, Édouard le Confesseur, roi d’Angleterre canonisé, et d’autres, tels Thomas de Cantorbéry et Jean de Beverley. La combinaison des armes d’un couple représenté en prière aux pieds de la Vierge a permis d’identifier dans le troisième manuscrit (198 feuillets), de la région de Cambrai, Jean Antoine de Mahieu, seigneur de Bosqueau né vers 1460, et son épouse Jacqueline de Sivry, dame de Buath. La célébration de sainte Wilgeforte, une crucifiée barbue, sous l’appellation néerlandaise d’«Ontkommer» renforce l’origine flamande de l’ouvrage, daté vers 1475-1480 et prisé 10 000/15 000 €.
Londres en flammes
Les livres d’heures se voulaient des ouvrages pratiques, aussi la présence d’images peintes permettait-elle de s’y repérer facilement. Ces illustrations et décors ont fait leur succès au Moyen Âge. Ils sont depuis bien évidemment scrutés par les spécialistes à la recherche des moindres éléments réalistes renseignant la société profane. Les notices du catalogue de vente recensent précisément pour chacun des livres le sujet des enluminures. Leur qualité, la richesse des détails et la précision d’exécution rendent parfois ces documents exceptionnels. Concernant nos manuscrits : « La singularité stylistique de chacun d’eux suggère le dynamisme des ateliers auxquels s’adressaient les commanditaires selon leur prestige respectif », rappelle encore Ludovic Miran. Ce ne sont pas moins de soixante-deux miniatures qui constituent le décor du livre de prières de Guillaume Doulcet de Pontécoulant. Une rare image retient l’attention : celle d’Erkenwald au sommet d’un beffroi, protégeant ses reliques lors d’un incendie majeur de Londres, en 1087, qui détruisit la cathédrale Saint-Paul. De nombreuses lettrines historiées et dorées concourent par ailleurs à la beauté de l’ouvrage. Le style des miniatures est caractéristique des manuscrits produits par les ateliers flamands du dernier tiers du XVe siècle, dont une partie de la production était destinée à des commanditaires anglo-normands.
Chimères et fraises des bois
La finesse du traitement des figures ainsi que la richesse de la palette caractérisent les douze miniatures à pleine page du livre d’heures du prince Antoine de Savoie-Raconis et de Jeanne de Pontevès. Ici encore, on note la présence récurrente d’élégantes guirlandes végétales. Les lettrines historiées du décor de la deuxième section du manuscrit ont guidé le studio d’expertise vers l’Italie et ses fameux ateliers ferrarais et florentins, travaillant notamment pour les ducs d’Este dans le premier tiers du XVIe siècle. Outre les commanditaires, représentés en prière aux pieds de la Vierge, le livre d’heures de Jean Antoine de Mahieu et Jacqueline de Sivry compte pour sa part vingt et une miniatures à pleine page (10,7 x 6,2 cm) et abonde en compositions. Celles-ci sont caractérisées par une grande variété d’essences végétales : pavots, chardons, pensées, roses, fraises et baies rouges alternent avec des rinceaux d’acanthes. Ces motifs champêtres sont ponctués par des figures chimériques avec, au début des Heures de la Vierge, un dragon à visage humain dont la queue se termine par la tête d’une femme coiffée d’un bonnet pointu, une « probable allusion au combat contre les tentations charnelles », comme le note le catalogue. Les bases stylistiques, dont le travail décoratif des initiales ornées, sont à rapprocher, selon le cabinet d’expertise, du manuscrit de Bruxelles (KBR, ms. IV 145) réalisé à Bruges vers 1470 dans l’atelier de Willem Vrelant.