La découpe est un art culinaire à part entière. Au point qu’un ouvrage de gastronomie, l’un des plus curieux en son genre, lui est consacré.
On reconnaît, dit-on, un homme bien né, à ce qu’il sait trancher. Une volaille ou un gibier à plume, bien sûr, voire de la viande. Cela s’apprend, mais les manuels en la matière sont rares. Le plus ancien, fut composé en 1423 par Enrique de Aragón, marquis de Villena (1384-1434), « l’un des plus grands savants de son siècle ». Mais il ne reste rien de son œuvre littéraire, un dominicain obscurantiste la fit jeter au feu. Un seul manuscrit en réchappa, qui fut retrouvé bien plus tard et publié en 1766, sous le titre complet d’Arte cisoria, ó tratado del arte del cortar del cuchillo (Madrid, Antonio Marin, petit in-4°), illustré par 9 gravures sur bois in-texte. On cite ordinairement trois autres ouvrages du genre, tous germaniques. Il n’est pas certain que les hommes bien nés pratiquassent la langue allemande, aussi un certain Jacques Vontet, qui se disait « Écuyer tranchant », fut le bienvenu. Ce Suisse de Fribourg parcourut, durant la première moitié du XVIIe siècle, les cours princières pour y enseigner son art auprès de la jeune noblesse. Il avait fait graver, en 1629, des planches explicatives qu’il annotait de sa main. Il finit par composer un véritable ouvrage auquel il donna un titre qui en dit plus long que le simple geste du couteau : Art de trancher la Viande - Manuel de l’écuyer tranchant [Lyon, 1647], in-4°. On rencontre encore des exemplaires qui auraient été imprimés en 1669, avec un titre plus complet : L’Art de trancher la Viande et toute sorte de fruit. A la mode Italienne et nouvellement à la Francoise. Par Sieur Jacques Vontet 1’Écuyer tranchant. Audiffret scripsit 1669 (s. l. [Lyon, 1647/1669 ?] petit in-4°), avec cette fois, un nom d’auteur. « Cet ouvrage est capital, affirme Gil Galasso, auteur d’une Histoire de la découpe à table, une thèse parue en 2018, car il nous transmet des planches de dessin correspondant aux découpes de l’époque. » Un exemplaire relié en basane a été adjugé 17 397 €, à Drouot, le 17 décembre 2019 par les maisons AuctionArt - Rémy Le Fur & Associés et Mirabaud - Mercier, assistées par Emmanuel de Broglie.
Une paternité non tranchée
Cet exemplaire mi-manuscrit (pour le texte calligraphié à l’encre et accompagné d’ornementations typographiques), mi-gravé (pour les 58 figures sur cuivre), comprend un frontispice héraldique, aux armes de François Basset, « juge » à Lyon. Il comporte 33 figures de volailles, 16 de lapins, lièvres, cochons, chèvres, poissons, veaux et moutons et 9 de fruits et divers, avec des annotations manuscrites sur certaines d’entre elles. Il n’existerait plus qu’une dizaine d’exemplaires subsistants de cet ouvrage, mais chacun présentant un nombre et un assemblage différents des figures ainsi que des variantes dans le texte. Selon Gérard Oberlé, auteur des Fastes de Bacchus et de Comus (1989), « ce livre est un des plus curieux ouvrages de la littérature gastronomique ». Les bibliographes ne sont pas d’accord sur sa véritable paternité. Vontet se serait fortement inspiré de Pierre Petit, lui aussi écuyer tranchant qui vivait vingt ans plus tôt, sous le règne de Louis XIII. Georges Vicaire, auteur de la Bibliographie gastronomique (1890), donne ce dernier comme l’auteur de cet « Art de trancher ». Quoi qu’il en soit, Vontet mettait l’accent sur le maintien et la civilité de l’écuyer et affirmait avoir inventé une nouvelle façon de trancher dans les plats et de dire : « le tranchement se fait ordinairement en l’air et en la fourchette. »