Depuis 2012 et l’exposition «Tours 1500», à laquelle avait succédé en 2015 celle de «Lyon Renaissance», l’étude de cette période de l’art français affiche une belle dynamique. La capitale du Languedoc bénéficie à son tour de ce regard neuf.
Longtemps, Toulouse a joué les belles endormies. Au long de ses rues calmes et ensoleillées, on poussait la porte d’un hôtel particulier pour découvrir au fond d’une cour quelque terme à l’antique, des mascarons grimaçants ou un profil ciselé au temps du roi François Ier. Aujourd’hui, la ville se penche sur ce riche patrimoine hérité de la Renaissance, une période particulièrement florissante pour la capitale du Languedoc. Une exposition organisée au musée des Augustins consacre la redécouverte de cette mémoire : c’est le fruit de la collaboration directe et, il faut l’avouer, plutôt rare, entre le monde universitaire et l’univers feutré des musées. La passerelle a été lancée il y a cinq ans lorsque Pascal Julien, professeur d’histoire de l’art à l’université Toulouse - Jean Jaurès, propose à Axel Hémery, directeur du musée, d’organiser une manifestation autour des dernières découvertes effectuées sur la Renaissance toulousaine. Il pilote alors les travaux de neuf docteurs et doctorants, qui composent désormais une véritable équipe de spécialistes en la matière. Des investigations nouvelles qui ont permis d’approfondir des connaissances déjà étendues, en particulier pour l’architecture, mais surtout «de démultiplier les recherches dans d’autres domaines très peu explorés tels la peinture, la sculpture, le vitrail ou encore la tapisserie», comme l’explique l’universitaire. Autre exigence qui a guidé ces recherches, et donne sa chronologie à l’exposition : «la volonté d’analyser la période dans sa totalité, c’est-à-dire de 1490 à 1620, et de ne pas s’arrêter, comme on l’a fait trop souvent, avant les troubles de la fin du XVIe siècle.»
Toulouse «l’ambitieuse, l’érudite, la rayonnante»
Ces trois adjectifs empruntés au sous-titre de l’exposition des Augustins résument à merveille les qualités d’une cité qui refleurit dans le courant du XVe siècle, après les dévastations de la guerre de Cent Ans. Ambitieuse, Toulouse se donne les moyens de l’être «en s’appuyant sur les pouvoirs élargis du Capitole, un parlement le second alors en France après celui de Paris dirigé par huit magistrats élus», souligne Pascal Julien. Issus de la bourgeoisie marchande anoblissable, ses membres jouent un rôle non seulement administratif et judiciaire, mais aussi hospitalier et de maître d’œuvre. Des pouvoirs que symbolisent les femmes fortes représentées sur le tableau attribué à Arnaut Arnaut Les Quatre Fonctions du capitoulat toulousain, peint vers 1570. C’est donc par leurs commandes d’édifices publics que les édiles introduisent l’esthétique naissante inspirée par l’Antiquité. Leur «maison commune» multiplie ces éléments, telle la porte monumentale du Grand Consistoire sculptée en 1551 par Guiraud Mellot, et dont le très riche décor, cantonné de gaines, lui vaut aujourd’hui une place d’honneur au musée du Louvre. Au sommet du donjon des archives, s’élance aussi une étonnante déesse de bronze : l’effigie de la mythique Dame Tholose. Récemment restaurée, cette sorte de Victoire à l’antique par Jean Rancy, fondue en 1550 à la même période que la grande statuaire de Fontainebleau clame la filiation érudite dont s’enorgueillissent les Capitouls. Car «Toulouse est non seulement la fière héritière de Rome, mais n’hésite pas à s’affirmer son égale !», confie Pascal Julien, d’un ton amusé. Elle peut se le permettre : n’est-elle pas la Palladia Tolosa, la «Toulouse palladienne» romaine, selon le terme usité par les poètes latins Martial, Ausone et Sidoine Apollinaire ? Placée sous la protection de Pallas-Athéna, déesse de la Sagesse, la cité brillait alors par ses écoles de rhétorique et de philosophie célèbres dans tout l’Empire. Si le style antiquisant de la Renaissance, venu d’Italie après un détour par Paris et le Val de Loire, se propage vite en ce début du XVIe siècle, c’est grâce à une conjoncture économique extrêmement favorable. Elle s’explique par la situation de la cité au cœur d’une région agricole des plus fertiles. Mais c’est surtout d’une humble plante tinctoriale, la guède (Isatis tinctoria L.), que Toulouse tire désormais sa prospérité. Par fermentation de ses feuilles, on élabore une couleur bleue, appelée «pastel», dont le commerce va enrichir toute une classe de négociants. Heureuse conséquence de cette pluie d’or : l’édification d’hôtels particuliers très ornés où, loin d’être un placage, la sculpture, reprenant des modèles diffusés dans les ouvrages savants tels ceux d’Androuet du Cerceau, est indissociable de la structure architecturale. La demeure construite pour Jean de Bernuy entre 1530 et 1536 par Louis Privat en est peut-être le plus bel et précoce exemple, avec sa cour à galeries, où se devine même, sous la ciselure de ses candélabres, une influence espagnole plateresque… Plus classique, l’hôtel d’Assézat aujourd’hui l’écrin de la fondation Bemberg , édifié en 1555 par Nicolas Bachelier, l’architecte vedette de la ville, applique strictement les principes de Sebastiano Serlio, dans d’impressionnantes élévations aux trois ordres superposés. Mais l’art nouveau ne se cantonne pas à la cité : il rayonne sur la vaste province du Languedoc à travers de multiples chantiers d’édifices religieux et profanes. Celui de la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi est certainement le plus emblématique, avec son jubé ciselé où se pressent une centaine de statues, prophètes, rois et reines de l’Ancien Testament, accompagnés des apôtres et des saints du Nouveau. Quant aux fresques polychromes qui tapissent entièrement voûtes et parois, elles ont été exécutées entre 1509 et 1520 par Francesco Donella da Carpi et son atelier, constituant le premier décor peint italien réalisé en France au début de la Renaissance.
Des artistes venus de tous les horizons
Comme à Albi, peintres et sculpteurs étrangers à la région sont nombreux à s’installer à Toulouse ; ils affluent d’autres provinces du royaume, voire de grands pôles créatifs européens. Ainsi, longtemps resté mystérieux, l’étonnant ensemble en terre cuite des Sibylles et Prophètes, placé en 1523 dans la basilique Saint-Sernin, a pu ainsi être réattribué au Bordelais Jean Bauduy. Également natif d’Aquitaine de Saint-Sever précisément Arnaut de Moles travaille aussi à Toulouse, réservant toutefois son chef-d’œuvre absolu à la cathédrale d’Auch : un cycle de vitraux à la thématique biblique. Devant deux de ses verrières présentées dans l’exposition du musée des Augustins, son directeur Axel Hémery démontre combien «ce peintre n’a pas hésité à utiliser une perspective savante, avec ses personnages vus en contre-plongée, aux traits et aux membres subtilement déformés ». D’autres artistes viennent de plus loin encore, à l’exemple des nombreux Flamands ; parmi eux, ce fameux Nicolas Bachelier, appelé jadis, de manière certes un peu excessive, le «Michel-Ange toulousain». Architecte et sculpteur originaire d’Arras, il s’installe sur les bords de la Garonne vers 1532. Vestige fragmentaire d’un retable disparu de la cathédrale Saint-Étienne, une émouvante Tête d’homme barbu, sur la joue duquel roule une larme, témoigne ici de son expressivité quasi baroque, qui lui a valu sans doute son surnom. À l’inverse, l’autre grande vertu de la manifestation est d’avoir réattribué certaines pièces maîtresses à des artistes régionaux oubliés, leur rendant par là même une dimension nationale. L’imposante tapisserie de La Naissance de Saint-Étienne, provenant elle aussi de la cathédrale, en est le meilleur exemple : «Cette très grande pièce en laine et soie tissée en 1532-1534 est doublement symbolique des recherches de ces dernières années, signale encore Axel Hémery : on a pu, à la fois, la rendre à un talentueux peintre de Toulouse, Antoine Olivier également l’auteur du très pictural Antiphonaire de Philippe de Lévis, exposé à la Bibliothèque d’étude et du patrimoine et au lissier local Jean Puechaut, ce qui atteste de l’excellence des métiers à tisser de la capitale languedocienne». Des redécouvertes qui sont le résultat, brillant, de longues années de recherches dans les archives locales. Mais «il reste encore beaucoup à trouver, en particulier pour la seconde partie, méconnue, de cette étonnante Renaissance toulousaine», conclut Pascal Julien.