Depuis plus d’un quart de siècle, Thomas Halling cultive un certain art de vivre à la Suédoise au cœur de sa collection africaine. Entretien.
Thomas Halling est un authentique passionné. Partir en quête de la belle pièce, dialoguer inlassablement avec les œuvres pour mieux les connaître, mieux vivre avec elles. Tel est le credo de ce collectionneur suédois qui s’entoure d’art yoruba depuis plus de vingt-cinq ans. Auteur de livres pour enfants, il découvre cet art célébré pour le raffinement de sa statuaire, notamment à travers les ibeji, émouvantes sculptures mémorielles destinées à recueillir l’âme d’un jumeau décédé. Sa curiosité le pousse depuis à explorer d’autres formes d’art africain, mais aussi d’art moderne. Avec d’autres collectionneurs, il cultive des liens d’amitié et d’entraide, «souvent avec quelque chose dans le verre ou autour d’un bon repas». Une vision épicurienne qui n’est pas toujours de mise dans un univers parfois féroce.
Vous avez démarré votre collection avec des figures de jumeaux ibeji. Pourriez-vous nous en dire plus sur leur signification ?
Les Yorubas du Nigéria ont le taux de naissances gémellaires le plus élevé au monde. Les jumeaux sont considérés comme des êtres extraordinaires protégés par le dieu Shango. Il y a longtemps, la naissance de jumeaux était vue comme un mauvais présage connecté aux forces du mal. Plus tard, elle se transforma en un signe positif : les jumeaux sont devenus des enfants bénis qui apportent la fortune à leur famille. La croyance veut qu’ils soient spirituellement un seul être et, lorsque l’un d’eux meurt, une statuette appelée «ere ibeji» est façonnée afin d’accueillir l’âme du défunt. Ces figures sont nourries et protégées comme des êtres vivants. J’aime la variété de leur style, la qualité des sculptures et l’amour qui leur ont
été donné.
Est-il encore possible de trouver des ibeji de qualité sur le marché ?
Oui, absolument. Le challenge est plutôt de trouver un bon ere ibeji à bas prix. Je passe moi-même beaucoup de temps sur Internet à parcourir les enchères et les galeries. Une fois que j’ai trouvé un objet qui m’intéresse, je me retourne vers mes références, livres, catalogues, archives en ligne et musées afin de comparer les détails et les faits. Acheter à des amis collectionneurs est aussi un bon moyen de m’assurer de la provenance d’un objet et et de sa fiabilité. Après avoir passé plusieurs années à collectionner, je ressens assez vite si un objet est fait pour moi ou pas. J’ai aussi une assez bonne mémoire visuelle, ce qui m’aide à reconnaître des pièces que j’ai pu voir auparavant.
Ces figures sont-elles toujours le «cœur» de votre collection ?
Non, plus maintenant. En tout cas pas comme lors des dix premières années de mon périple de collectionneur. Mais j’en possède encore quelques-unes et elles constituent une pierre angulaire de ma collection yoruba.
Avant la crise sanitaire, vous rendiez-vous régulièrement en Afrique ? Selon vous, est-il encore possible d’y trouver des pièces de qualité ?
J’ai travaillé en Guinée-Bissau au début des années 1980 et à cette époque, je voyageais souvent dans les autres pays. Mais c’était il y a longtemps ! Nombreux sont ceux qui disent qu’il n’y a plus d’objets historiques en Afrique, mais des pièces de bonne qualité peuvent toujours surgir un jour ou l’autre.
Comment travaillez-vous avec les musées et les institutions culturelles ?
Au fil des ans, j’ai été en contact avec plusieurs musées ethnographiques un peu partout en Europe et j’ai eu le privilège d’en visiter les réserves avec les conservateurs. J’ai appris énormément au cours de ces visites, mais j’ai pu aussi parfois partager mes connaissances. Actuellement, je ne peux pas voyager à cause du Covid-19. Mes interactions avec les institutions se passent donc en ligne. Cela étant dit, mes objets n’ont jamais été montrés lors d’expositions physiques, mais certains d’entre eux figurent dans des ouvrages de référence, comme Danse avec Shango – Dieu du Tonnerre de Xavier Richer. Récemment, une partie de ma collection a été présentée dans la revue ÌMÒ DÁRA. Il est évident que les réseaux sociaux stimulent les interactions et le partage de connaissances. Certains de ces nouveaux contacts sont des galeries et des collectionneurs, mais aussi des institutions qui souhaitent aborder la question de l’art yoruba. J’essaie de faire au mieux pour leur répondre, sachant que je ne suis pas un expert, mais seulement un collectionneur passionné.
Ouvrez-vous les portes de votre collection à des particuliers ou préférez-vous qu’elle reste privée ?
Principalement à des amis collectionneurs ou à des personnes que j’invite pour des projets d’exposition en Suède (sans succès jusqu’ici !)… Et bien sûr, à ma famille et à mes proches. Les personnes qui découvrent ma collection pour la première fois réagissent de trois manières différentes. Certains regardent ailleurs et enchaînent la conversation sur un autre sujet. D’autres demandent : «Est-ce que ça vient d’Afrique ?» et «Avez-vous été là-bas », pleinement satisfaits lorsque je réponds «oui» à leurs deux questions.
Et enfin ceux, mais c’est la minorité, qui s’exclament : «Fantastique ! Pourriez-vous m’en dire plus ?»
Qu’est-ce que l’annulation des foires d’art tribal change pour vous ?
Avant la crise sanitaire, je participais régulièrement à la Bruneaf et au Parcours des mondes. Je visite les principales foires qui exposent de l’art africain pour de multiples raisons. Vous pouvez voir, toucher, discuter et apprendre. Ne pas pouvoir le faire, ne plus avoir la possibilité de rencontrer des amis, des galeristes ou d’autres collectionneurs me manque. Évidemment, ne plus pouvoir établir de contacts et ne pas acheter d’œuvres me pèse également.
En quoi la crise modifie vos habitudes de recherche ou d’achat ?
La manière dont j’achète des œuvres n’a pas changé tant que cela, car je suis très actif sur Internet depuis de nombreuses années. J’ai également une importante littérature de référence chez moi, que je peux consulter pour faire mes recherches. Le point positif est que je peux passer plus de temps en compagnie de ma collection.
Vous collectionnez depuis longtemps. Comment le marché de l’art tribal a-t-il évolué depuis vos débuts ?
Internet est certainement le changement majeur avec la possibilité de créer de nouveaux contacts et de garder le lien, de voir des photographies, d’assister à des enchères en direct, de visiter des archives numériques ou de lire des articles.
Quel est l'avenir de ce marché, selon vous ?
Un nombre très important de collections anciennes se retrouvent sur le marché actuellement. J’espère que leurs objets vont se frayer un chemin dans les mains de la jeune génération des collectionneurs qui, comme moi, ne peuvent peut-être pas se procurer les pièces les plus chères d’une vente aux enchères. Il y a tellement de beauté et de qualité à dénicher, même à des prix raisonnables, qu’il suffit de garder les yeux ouverts.