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Tefaf, Un automne à New York

Publié le , par Phillip Barcio et Pierre Naquin

La grand-messe européenne du fine art fêtait ce mois-ci le premier anniversaire de sa présence outre-Atlantique. Soit déjà trois éditions au succès incontestable…ou presque. Compte rendu.

Park Avenue Armory, Manhattan building. PHOTO KIRSTEN CHILSTROM. COURTOISIE Tefaf... Tefaf,  Un automne  à New York
Park Avenue Armory,
Manhattan building.
PHOTO KIRSTEN CHILSTROM. COURTOISIE Tefaf NEW YORK FALL 2017


Alors que la troisième édition new-yorkaise de la Tefaf ferme ses portes, le moment semble tout choisi pour analyser l’apport de la foire européenne par excellence au marché américain. Basée à Maastricht (Pays-Bas), «The European Fine Art Fair» est en effet considérée comme le joyau des foires d’antiquités du Vieux Continent. Depuis 1988, chaque édition parvient à attirer les collectionneurs les plus sérieux et les plus fortunés des quatre coins de la planète. Lors de ses deux premières percées sur le Nouveau Monde (à l’automne 2016 et au printemps 2017), l’esprit Tefaf s’est particulièrement bien adapté. Avec déjà deux belles réussites au compteur, inutile de dire que les attentes étaient grandes pour cette deuxième édition de la Tefaf New York Fall, qui est aussi la troisième Tefaf dans cette ville. Pour pimenter le défi, les organisateurs avaient choisi d’augmenter la surface d’exposition, en ouvrant au public les salles historiques du second étage de l’Armory. Le designer hollandais Tom Postma était encore aux manettes, et offrait, à nouveau, ce qui était sans aucun doute la plus belle scénographie de foire de la saison. Pour le vernissage, les célébrités du monde politique, du sport et du divertissement se retrouvaient sur Park Avenue… et sortaient le carnet de chèques. Personne n’était là pour faire de la figuration ! Les actrices Drew Barrymore et Whoopi Goldberg, l’ancien maire de New York Michael Bloomberg, et de nombreux représentants de musées aussi prestigieux que le Getty (Los Angeles) ou le Museum of Fine Arts de Boston avaient fait le déplacement. À l’américaine, les bénéfices de la billetterie du vernissage étaient, comme en 2016, reversés au Memorial Sloan Kettering Cancer Center de New York.
Beaux objets et beaux prix
Marchands et représentants de la manifestation avaient le sourire. La fréquentation était très bonne et les ventes solides dès l’ouverture. Ainsi, le premier jour, le britannique Colnaghi cédait à un musée une vanité du XVIIe d’Andrés de Leito pour un nombre à sept chiffres. Le nouveau venu hongkongais Maria Kiang Chinese Art se séparait d’une impressionnante sculpture Ming, en bois de ronce, initialement acquise auprès du marchand français Jean-Michel Beurdeley. Le diamantaire russe (basé à New York) À la Vieille Russie vendait pour sa part une broche victorienne du XIXe siècle en or, argent et diamants. Les jours suivants, la fréquentation restait élevée et les prix continuaient de monter. L’une des pièces les plus attendues était présentée par la galerie milanaise Orsi. En l’occurrence une sculpture néoclassique, en plâtre, de la fin du XVIIe siècle et signée Antonio Canova. Selon les experts, il s’agissait de la seule œuvre de l’artiste encore disponible sur le marché. «S’agissait»… car elle a effectivement été achetée (sans même négocier) par un musée pour 4 M$. Une Tête de femme en bronze d’Elie Nadelman (1882-1946) était cédée 200 000 $ par le marchand Bernard Goldberg, qui jouait à domicile. Un autre New-Yorkais, spécialiste des maîtres anciens cette fois, Adam Williams Fine Art, vendait un chef-d’œuvre de Francesco Guardi, figure de proue de l’école vénitienne des années 1760, Place Saint-Marc, avec sa basilique et le campanile, pour 2,9 M$ (dans le top 15 des enchères de l’artiste). La galerie londonienne Charles Ede était, elle, ravie de sa participation, cédant une demi-douzaine d’objets, notamment sa pièce phare, une sculpture égyptienne en stéatite de 1400 av. J.-C. pour 350 000 $, quelques heures seulement après le début du salon. Martin Clist, directeur exécutif, déclarait : «C’est le plus beau démarrage de toutes les foires que nous ayons pu faire aux États-Unis. Les visiteurs et les clients new-yorkais sont très exigeants.» Son compatriote Anthony Crichton-Stuart, directeur d’Agnews Gallery, opinait, estimant que la Tefaf new york Fall 2017 était «très bien fréquentée et présentée».
Du rififi à la Tefaf
La parfaite mécanique Tefaf a néanmoins failli se gripper, mettant même en danger l’intégrité de la marque. Comme l’a révélé le New York Times, la police new-yorkaise est intervenue le premier jour, avec un mandat, pour saisir un bas-relief persan (Ve siècle av. J.-C.) sur le stand de l’antiquaire britannique Rupert Wace. Cette œuvre, estimée 1,2 M$, avait initialement été exhumée par des archéologues de l’Université de Chicago en 1933, trois ans après la mise en place d’une loi interdisant la sortie de territoire pour les antiquités perses. Elle était réapparue en 1950 quand le mécène canadien Frederick Morgan en fit don au Montreal Museum of Fine Arts… qui se la fit voler en 2011. Trois ans plus tard, la police canadienne la retrouvait trois mille kilomètres plus loin. La prime d’assurances ayant déjà été encaissée, AXA Art vendit l’œuvre aux enchères… à Rupert Wace.
Experts ou inspecteurs ?
Cette histoire soulève de nombreuses questions. Mais la plus grande inquiétude concerne la marque Tefaf, qui dans l’esprit des collectionneurs constitue l’un des plus hauts gages de sérieux et d’exigence. Une réputation due au processus de vetting que l’organisateur met en place, parmi les plus précis au monde. Plus de quatre-vingt-dix experts reconnus, dans des spécialités aussi diverses que la bijouterie, le design, les arts décoratifs ou les antiquités, inspectent à chaque Tefaf chacune des pièces présentées par les marchands participants. Ils s’assurent que les objets sont de provenance sans failles et de qualité muséale. Comment la police de New York (NYPD) a-t-elle réussi à en savoir davantage sur ce bas-relief sans même l’avoir préalablement examiné que tous les experts du comité mis en place par le salon ? Plus grave peut-être, cet incident est complètement absent de la communication de l’organisateur… comme si rien ne s’était passé ! Si l’on peut aisément comprendre qu’un objet, sur des milliers, ait pu passer entre les mailles du filet, ignorer l’affaire n’incite pas à la confiance. Cet accroc mis à part, cette seconde édition new-yorkaise était une très belle foire avec une diversité impressionnante d’objets présentés. La très européenne Tefaf semble donc bien vouloir s’installer à New York pour y progresser. Néanmoins, les organisateurs feraient bien à l’avenir de suivre la ligne d’exigence qu’ils imposent à leurs exposants et qui, jusque-là, en faisait un modèle à suivre pour toute la profession.

À SAVOIR
Pour 2018, les dates des trois rendez-vous de la Tefaf sont déjà à noter.
La version européenne (Maastricht) se tiendra du 10 au 18 mars 2018.
L’édition contemporaine à New York aura lieu aux mêmes dates que Frieze, du 4 au 8 mai 2018.
Enfin, la version automnale (généraliste) américaine se déroulera du 27 au 31 octobre 2018.
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