Une pluie de préemptions et une ambiance des grands jours accompagnaient à Drouot la dispersion partielle du fonds de la galerie parisienne.
David Norman l’affirmait aussitôt la vacation du jeudi terminée : «Cette vente a fait venir à Drouot de grands marchands et les collectionneurs du monde entier.» Évidemment, la date avait été choisie avec soin, puisqu’elle collait avec le Salon du dessin, et si cette année la galerie Talabardon & Gautier n’y était pas présente, c’est parce qu’une grande partie de son fonds se retrouvait sur les cimaises de l’Hôtel (voir l’Événement Galerie Talabardon & Gautier : l’exigence au service de l’art de la Gazette n° 10, page 14). On pouvait craindre des difficultés, n’étant jamais aisé de soumettre aux enchères des œuvres récemment acquises, souvent au prix fort et déjà proposées sur le marché de l’art. Il n’en fut rien, bien au contraire… Tous, et les institutions françaises en premier lieu, étaient aux aguets pour tenter d’emporter qui des dessins, qui des tableaux et des sculptures, lesquelles étaient en effet jusque-là inaccessibles, les attentes des deux marchands en termes de prix étant assez élevées. Cependant, leur œil de découvreur et leur talent de chineur invétéré n’étaient contestés par personne et, devant les estimations affichées par les experts, l’envie est revenue, très forte. Les deux journées, voyant se succéder 350 lots, se sont conclues sur un produit total de 5 765 000 € – soit au-dessus de la fourchette haute des espoirs – et pas moins de quatorze préemptions opérées, témoignage de la reconnaissance du monde muséal. Le XIXe étant leur période fétiche, il était naturel que ce soit lui qui emporte le plus de suffrages, à commencer par les 243 200 € d’un dessin de Louis-Léopold Boilly (voir ci-dessous et article ci-dessus mentionné). Cette Jeune fille portant son frère sur ses épaules dans un jardin, réalisée vers 1797-1799, est une parfaite illustration de la maîtrise du successeur de Greuze pour la transcription des scènes de la vie familiale et quotidienne. Venait ensuite, à l’autre extrémité du siècle, le Portrait de Germaine, fille de l’artiste, à l’âge de 4 ans (49 x 49 cm), peint sur toile en 1882 par un père visiblement aimant, Jean-François Raffaëlli (1850-1924). En effet, celui-ci n’a eu de cesse de la représenter, à quatre mois, à deux ans, dans l’adolescence… La fillette était ici transcrite dans des tons clairs et une palette lumineuse qui contrastent avec le reste d’une production plus officielle. Emportée à 140 800 €, une Vue de Saintes, prise de Lormont (32 x 46 cm) par Gustave Courbet (1819-1877) en 1865 traduisait le goût de Talabardon et Gautier pour la peinture de paysage sur le motif, qu’ils ont grandement contribué à remettre en lumière. En témoignaient aussi les 76 800 € recueillis par une Vue prise à Rome sous l’arc de Janus (96 x 73,5 cm) du comte Lancelot Théodore Turpin de Crissé (1782-1859), de 1818, et les 51 200 € d’une autre du Vésuve en éruption (46 x 61 cm), un papier marouflé sur carton de Simon Denis (1755-1813). Le Lac des Quatre-Cantons depuis Rigi-Kulm (27 x 41 cm), un panneau de Giuseppe De Nittis (1846-1884) emporté à 53 760 €, en est une autre – magistrale – illustration.
Du côté des préemptions
Le Condottiere de Jean Auguste Dominique Ingres (reproduit ci-dessus et voir l'article Quand Ingres peint un condottiere du côté de Florence… de la Gazette n° 3, page 6) semblait être une œuvre ardue pour un collectionneur, mais typiquement muséale : on ne pouvait donc que se réjouir que le musée de Montauban emporte ce maillon de son corpus, pour 198 400 €. Le maître du néoclassicisme brosse ici un visage rustre et peu affable, bien loin des canons de beauté qui lui sont souvent attribués. En faisant un détour par l’historicisme, il a eu envie de «s’attaquer» à un homme de guerre, barbu et cuirassé comme il se doit, et de le magnifier. Ce tableau est un écho au travail d’investigation mené avec une détermination sans faille depuis trente ans par les deux Bertrand. Pas moins de treize autres préemptions étaient prononcées. Outre celles présentées en page de droite, on notera l’acquisition par le musée des beaux-arts d’Orléans d’un tableau de Louis Hersent (1777-1860), La Fiancée du roi de Garbe (61,8 x 50,5 cm - 7 680 €), d’une peinture d’Antoine-Auguste Thivet (1856-1927) montrant une martyre (59,7 x 82 cm - 6 656 €) et du bas-relief en cire rouge de David d’Angers (1788-1856) figurant le profil d’Achille Devéria (7 680 €). Le musée Napoléon Ier de Fontainebleau se positionnait ensuite à 12 800 € pour emporter la figure en pied de Nicolas-Charles Oudinot, duc de Reggio, maréchal de France, fixée en 1810, et celui de la Maison Bonaparte d’Ajaccio, à 3 840 € pour un dessin de Carle Vernet (1758-1836), La Délivrance de la Corse, 29 Vendémiaire An 5. Le musée d’Orsay repartait pour finir avec trois feuilles de Louis-Adolphe Hervier (1818-1879) : de véritables témoignages historiques montrant des scènes de barricades à Paris, lors des journées révolutionnaires de 1848 (6 400, 6 400 et 2 304 €). L’Hôtel Drouot, qui ainsi que le disait Bertrand Gautier avait été pour eux «une véritable école» (voir l’article ci-dessus mentionné), accueillait dignement cet ensemble, dont la vente va permettre à leur travail de se poursuivre, même différemment.