Rien ne semble essouffler celle qui dirige le musée des beaux-arts de Lyon depuis quatorze ans. Publication des collections, refonte de l’accrochage permanent, ticket mécène… Les projets se multiplient et témoignent du dynamisme de ses équipes.
«1945-1949» en 2009, «Bram et Geer van Velde» l’année suivante, «Soulages» en 2013, «Joseph Cornell et les surréalistes» en 2014, «Matisse», «Fred Deux» et «Los Modernos» l’an dernier… Depuis votre arrivée à la tête du musée des beaux-arts de Lyon, les expositions mettent l’accent sur l’art moderne. Est-ce votre formation qui impulse une telle dynamique ?
Je me défends de privilégier l’art moderne mais m’attache à maintenir la diversité de la programmation, qui est le reflet de la richesse de nos collections. Il est vrai qu’à mon arrivée j’avais hérité d’une collection moderne chaotique. J’ai donc voulu l’étudier et faire des rapprochements, ce qui a donné en 2010 l’exposition «Picasso, Matisse, Dubuffet, Bacon… Les modernes s’exposent au musée des beaux-arts». De là est apparue la cohérence du legs Jacqueline Delubac, mis en valeur dans un accrochage en 2014 et dont les œuvres ont été intégrées au parcours permanent. J’avais remarqué également que l’école lyonnaise du XXe siècle est très mal représentée : nous avons activé des acquisitions, d’œuvres d’Auguste Morisot par exemple, dans la continuité de l’exposition-dossier que nous lui avons consacrée en 2012, et des dons d’artistes. Pour l’acquisition de la boîte de Cornell, nous avons eu, dans un marché de l’art très agité autour de l’artiste, l’opportunité de l’attraper au bon moment à New York, grâce au mécénat du Cercle Poussin.
À contre-courant de la vogue du tout-événementiel, vous semblez maintenir la priorité sur vos collections permanentes, avec de nombreuses acquisitions et un projet de refonte du parcours…
Le travail sur les collections est aussi important que celui réalisé sur les expositions temporaires, dans une logique de va-et-vient. La programmation est conçue seulement et uniquement dans le but de les faire redécouvrir. Cela a été le cas par exemple en 2014 pour l’exposition «L’invention du passé», qui remettait en lumière notre fonds de peintures troubadour du XIXe siècle et permettait de faire une acquisition en la matière. Le récolement, qui nous a permis de faire connaissance de chaque objet, a été l’élément déclencheur de toute cette politique. Pour certaines œuvres comme les objets d’art, qui n’avait été que peu étudiés, cela s’est même apparenté à un travail de défrichage.
Est-ce dans cette logique qu’a été lancée une campagne de refonte du département des objets d’art, rouvert début janvier ?
L’élément déclencheur a été le don l’an passé, par le couple Meynet, d’une quarantaine de céramiques contemporaines, venues s’ajouter à un premier don en 2013. Cela nous invitait à repenser totalement la fin du parcours sur le XXe siècle. Suite à une vaste campagne de restauration, portant sur 1 080 objets pour un montant total de 70 000 €, nous avons pu montrer un tiers de nouvelles pièces, pour la plupart inédites. Je pense en particulier à la collection d’art asiatique, qui n’était pas du tout présentée. Avec la conservatrice Salima Hellal, nous avons aussi tout refondu, pour rompre avec la tradition d’une présentation par technique et adopter une approche plus anglo-saxonne, c’est-à-dire thématique. De cette manière, nous rappelons que nous ne sommes pas seulement un musée des beaux-arts, mais aussi un musée de civilisations : les thèmes, dont celui sur les rapports entre Orient et Occident, le prouvent. Nous vivons une histoire avec ce couple de collectionneurs. Cette rencontre montre comment une donation peut permettre de donner un axe de développement aux collections auquel nous n’aurions pas pensé. Cela rappelle combien le musée est un organisme vivant, qui se façonne au fil d’échanges.
L’autre actualité de vos collections est la publication étape par étape du catalogue exhaustif des œuvres, dont un nouveau tome est paru en octobre. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous avions débuté avec les peintures françaises en 2014, et avons poursuivi avec les sculptures. L’ouvrage est l’aboutissement de dix ans de recherche et nous a donné envie de repenser la présentation des œuvres. D’ici l’été, nous ressortirons ainsi des sculptures des réserves, mettrons en avant les grandes figures de la collection, dont Joseph Chinard, et ferons des vitrines thématiques. Nous sommes peu nombreux à avoir cette politique de publication des collections, alors même que c’est un vrai outil de diffusion en France et à l’étranger… comme la mise en ligne de 5 066 notices d’œuvres à la fin de novembre dernier, qui seront bientôt complétées par un second versement des huit cents sculptures et du fonds de dessins. Depuis, nous n’avons jamais eu autant de demandes de prêts !
Vous comptez donc continuer sur votre lancée ?
Oui, c’est notre manière de travailler : à peine un projet est-il achevé que nous lançons le suivant, pour garder une dynamique. S’ouvrira ensuite l’étude, en vue du catalogue raisonné, du département des arts de l’Islam, qui promet de surprendre en faisant la part belle aux échanges culturels et en refusant d’organiser les choses par foyer de création. Puis viendra le tour de la sculpture, de l’Antiquité au Moyen Âge. Nous tenons d’autant plus à cette dynamique que nous sommes accompagnés par un mécène, ce qui est rare pour les ouvrages scientifiques. Thierry Lévêque a en effet souhaité nous soutenir dès le premier volume, avant de chercher à associer d’autres partenaires économiques pour le catalogue des sculptures. Voici un mécène qui cherche des mécènes pour nous !
Justement, votre politique de mécénat a pris une nouvelle tournure avec l’instauration d’un «ticket mécène» auprès du public. Pourquoi ne pas se contenter du mécénat d’entreprise ?
Nous sommes pilotes en matière de mécénat, avec la création récente de plusieurs cercles, dont le Cercle Poussin. Nous désirions diversifier les expériences. Nous avons constaté que les souscriptions publiques que nous avions lancées, pour l’acquisition d’un portrait de Corneille de Lyon en 2015 et d’une œuvre d’Ingres en 2013, touchaient des visiteurs locaux. J’ai le sentiment qu’avec cette opération de tickets mécènes nous atteindrons un public plus large. Le mécénat n’est pas uniquement l’affaire des riches entreprises. Ce sera aussi un bon moyen de fidéliser les visiteurs, en enregistrant leurs coordonnées et contacts. Ce n’est pas nouveau : d’autres établissements français le font, comme le musée Rodin ou la Piscine à Roubaix, et les Anglo-Saxons ont une longue expérience dans ce domaine. Ce que je trouve important, par ce système permettant au visiteur d’effectuer un don d’un euro ou plus à l’achat du billet, c’est la possibilité donnée à chacun de faire du mécénat indépendamment de ses revenus. Le dispositif sera pérenne mais toujours rattaché à un projet, que ce soit une restauration, une acquisition ou un programme pédagogique. Il est important que le visiteur sache pourquoi il donne et à quoi sert son argent. La première opération sera la restauration de notre star du département des antiquités égyptiennes : le cercueil d’Isetenkheb, de la Basse Époque. Nous espérons récolter sur trois mois les 10 452 € nécessaires à l’intervention, dont une partie se fera dans les salles pour restituer au public une partie de l’engagement financier qu’il aura consenti. Pour la suite, nous réservons la surprise !